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étrangères n’a pas caché que si les marins anglais descendaient à terre, les marins français les suivraient, — lorsque le sultan de Fez a heureusement tout pacifié ou tout simplifié en rappelant le pacha, unique cause de l’insurrection des tribus marocaines.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est la mauvaise humeur que quelques journaux anglais n’ont pu cacher en voyant les autres marines paraître sur les côtes du Maroc, comme si l’Angleterre avait seule la police de ces parages. L’égoïsme britannique a d’étranges naïvetés ! Les Anglais peuvent se croire particulièrement intéressés à surveiller le détroit, la Méditerranée, Suez, la route des Indes, c’est possible. Et l’Espagne, elle aussi, est apparemment intéressée à suivre tout ce qui se passe autour de Gibraltar, sur des côtes où elle a des possessions, des titres que lui a donnés la guerre. Et la France qui est la maîtresse de l’Algérie, qui touche au Maroc de toutes parts, depuis les rives de la Méditerranée jusqu’au Touat, la France, plus que toute autre nation, a bien le droit de sauvegarder sa sûreté, sa position dans le nord de l’Afrique. L’Allemagne, l’Italie elles-mêmes, se sont découvert depuis peu dans l’empire du Maroc des intérêts qu’elles se croient obligées de protéger. Et c’est ainsi que le plus simple incident a suffi pour attirer tous les pavillons devant Tanger. Il n’y a eu pour cette fois heureusement qu’une fausse alerte. Ce n’est pas moins la preuve qu’il peut y avoir une question du Maroc comme il y a toujours une question d’Egypte, quoi qu’en disent les Anglais, dans la politique européenne.

Certainement, l’Angleterre n’oublie jamais qu’elle a des intérêts, ce qu’elle appelle des droits partout, sur toutes les mers et même sur tous les continens ; elle vit de cette expansion universelle et indéfinie qui fait sa puissance et que rien n’interrompt. Elle traverse cependant pour le moment une phase de vie intérieure pénible, mêlée de deuils et d’incidens qui sont peut-être le prélude d’une crise politique prochaine. L’Angleterre n’a pas seulement perdu ces jours derniers un homme respecté de tous les partis, qui était devenu, quoique prêtre de l’église catholique, une sorte de personnage public dans la société anglaise, qui avait acquis un immense ascendant sur les populations ouvrières, le cardinal Manning ; elle vient d’être frappée à l’improviste dans ses sentimens les plus intimes par une mort qui a été un deuil national : la mort d’un jeune prince, petit-fils de la reine, premier-né du prince de Galles, destiné à porter un jour la couronne britannique. Le duc de Clarence a été enlevé brusquement dans la fleur de la jeunesse à vingt-huit ans, par ce mal inconnu qui voyage aujourd’hui en Europe. Ce jeune homme de haute taille, mince, blond, à la tenue froidement élégante, qui avait eu l’éducation militaire et maritime des princes anglais, qui était naguère encore officier de hussards, avait eu à peine le temps de se faire connaître. Il était jusqu’à ces derniers temps, à ce qu’il semble, peu populaire ; il ne l’était devenu