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qu’il était chargé de faire : « Il (Maurice) croit être sûr de son fait et que le coup doit être décisif de la façon dont il l’a projeté[1]. »

La force et la victoire étant assurément de tous les argumens qu’un négociateur peut employer les plus efficaces, le plénipotentiaire se remit en route très encouragé par cette assurance, et l’accueil qu’il trouva à Aix-la-Chapelle était plus fait pour le divertir que pour le troubler. Le comte de Kaunitz et lord Sandwich l’attendaient de pied terme depuis plusieurs jours, évitant, d’ailleurs, autant qu’il leur était possible de se rencontrer et de se parler. Dès qu’ils surent son arrivée, ils accoururent à sa porte, sans attendre les formalités habituelles du cérémonial, l’Anglais avant et l’Autrichien après son dîner, celui-ci même s’excusant de s’être laissé devancer pour ne pas se donner, disait-il, un air d’empressement qui aurait pu paraître suspect. De part et d’autre, on voulut entrer en matière sur-le-champ. Et d’après les comptes-rendus de ces premières entrevues, que chacun des envoyés dut en toute hâte transmettre à sa cour, on ne saurait dire ni duquel de ses collègues Saint-Séverin eut le plus à se louer, ni auquel, en répondant, il fit lui-même meilleur visage. Les dépêches, en vérité, à la différence près qui distingue la vivacité française et la netteté britannique de la lourde phraséologie propre à la chancellerie autrichienne du temps, ont l’air calquées l’une sur l’autre. Mêmes politesses affectueuses de tous côtés et chez les deux ennemis de la France, même assurance non-seulement d’une bonne intention générale à son égard, mais d’un désir de faire affaire en particulier et en secret avec elle, afin d’entrer ensuite, la main dans la main, dans la conférence publique et d’y faire la loi. Saint-Séverin, sans la moindre hésitation, se prête successivement à la pensée de ses deux interlocuteurs. Jamais comédie ne fut plus complète, c’est véritablement don Juan entre ses deux maîtresses. — « Le comte, dit Sandwich, me dit qu’il voyait bien que la paix dépendait des dispositions et des mesures de nos deux cours, que la réalité de la négociation se passerait dans nos conférences privées, et que ce qui se ferait en public ne serait plus qu’une apparence extérieure, puisque la conférence dépendrait entièrement de ce que nous aurions réglé auparavant entre nous. » Et Saint-Séverin répond qu’il est prêt à l’écouter où il voudra, surtout ici. — « J’entendais par là, dit-il, dans ma chambre. » — « Le comte de Saint-Séverin, écrit Kaunitz à Marie-Thérèse, a commencé l’entretien par les complimens les plus flatteurs de ma personne.

  1. Saint-Séverin à Puisieulx, 23-27 mars 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)