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chaudement à Vienne les intérêts français parce qu’on le soupçonne déjà de trop de partialité pour la France. — « Je suis, dit-il, dans un cas plus embarrassant qu’un autre, on m’accuse d’être tout Français, et les explications que je puis présenter pour assurer de la sincérité de votre cœur sont imputées à de la prévention de ma part. » — Crainte à la vérité un peu affectée, car, pendant qu’il tient ce langage, il a en poche plus d’une lettre autographe de Marie-Thérèse, où, après avoir discuté de nouveau tous les articles des projets et contre-projets en discussion, et l’avoir engagé à tenir bon sur les points contestés, elle finit toujours par conclure qu’à aucun prix cependant il ne faut rompre, parce que les deux puissances maritimes et la Sardaigne pourraient nous devancer, ce qui serait un péril bien autrement grave. Plus méfiante et plus irritée que jamais, elle soupçonne l’Angleterre qui accuse l’imprévoyance de la Hollande, et la Hollande qui se plaint de l’avarice de l’Angleterre, « de jouer contre elles un jeu concerté afin de sauver les apparences et de se rejeter l’une à l’autre la balle de la défection[1]. »

Quand on se mettait en si bonne amitié avec l’ennemi, il devait être assez incommode de rencontrer les envoyés des puissances avec qui on était encore nominalement en alliance. Aussi rien de plus froid et de plus gauche que les rapports de Kaunitz avec ses collègues d’Angleterre, de Sardaigne et de Hollande. Avec le Sarde et le Hollandais, on s’en tire encore, parce qu’ils se rangent derrière l’Angleterre dans un rôle à peu près muet. Mais avec Sandwich, il faut bien causer, quand ce ne serait que pour faire semblant de se mettre d’accord sur l’attitude à prendre le jour de l’entrée en commun dans la conférence publique. Aucune explication sérieuse n’est pourtant possible entre gens qui s’observent et se soupçonnent mutuellement, chacun ayant à part soi un secret et ne songeant qu’à défendre le sien, ou à surprendre celui de l’autre. Sandwich essaie bien d’entrer en matière en insistant sur la nécessité de la paix et la convenance de la fonder par un acte de désintéressement réciproque. Mais Kaunitz s’empresse de détourner le coup en rappelant que tous les sacrifices ont été faits jusqu’à présent par sa souveraine et qu’aucun des dédommagemens promis n’a été reçu par elle. C’était toucher à la question même du caractère du traité de Worms et du retour exigé par l’Autriche en cas d’inexécution de ses clauses principales ; mais le débat à peine soulevé n’est abordé directement ni de part ni d’autre, chacun sentant que, si on sort du vague, on tourne à l’aigre, et que la

  1. Marie-Thérèse à Kaunitz, 28 mars, 4 avril 1748. (Archives de Vienne.)