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conquête (où il se transporta à plusieurs reprises de sa personne), qu’il faisait mine de préparer l’attaque de Bréda ; mais pendant qu’en causant aux ennemis cette illusion, ou en les laissant dans l’incertitude sur ses desseins, il les empêchait de se concentrer aussi bien sur leur gauche que sur leur droite, Lowendal, par ses ordres, partait de Namur et se portait à Givet, aux frontières mêmes de la France. Là il trouvait tout un corps d’armée qui avait passé l’hiver dans le pays messin : à Mézières, à Sedan, à Carignan, à Montmédy, à Longwy, dans la contrée, en un mot, où la Meuse qui la traverse est sur ses deux rives un fleuve français. A la tête de ce puissant détachement, il pénétrait dans le Luxembourg, et, traversant sans résistance cette province entière, où sa présence n’était pas attendue, il rejoignait le fleuve à Liège pour le remonter sur la droite : il arrivait enfin, le 10 avril, à Maëstricht, prenant ainsi la place à revers du côté même où elle passait pour inattaquable.

Il y avait déjà vingt-quatre heures que Maurice l’attendait sur l’autre rive. Dès qu’il avait su, en effet, que le mouvement de Lowendal était commencé et en bon train, jetant le masque et laissant brusquement Bréda et toute cette frontière de la Hollande sur ses derrières, Maurice avait repris en droiture le chemin de Maëstricht et était revenu se camper de nouveau en vue de la ville, à quelques lieues seulement du champ de bataille de l’année précédente. L’erreur de Lawfeldt était ainsi réparée, et on aurait dit qu’il reprenait son opération victorieuse pour la compléter au point même où il avait eu un an auparavant le tort ou le malheur de l’interrompre.

Du reste, l’achèvement se fit de lui-même et sans nouvel effort, car le général autrichien Batthiani, ne se trouvant pas en force pour résister à cette concentration de l’armée française opérée dans des conditions inattendues, n’essaya pas de disputer la partie et se retira, en descendant le fleuve, jusqu’à Ruremonde. Le siège put alors commencer et la tranchée fut ouverte sans obstacle : la ville se trouva cernée et comme elle n’avait pas de secours à attendre, malgré la forte garnison de près de dix mille hommes, moitié autrichienne et moitié hollandaise, qu’elle contenait, sa soumission n’était qu’une affaire de jours et peut-être d’heures. — « Vous allez entendre ronfler le canon, écrivait Maurice à Saint-Séverin, je ne sais si le son de cette agréable musique portera les esprits à des pensées de paix ou à une ardeur martiale. » C’est ce qu’on n’allait pas tarder à connaître[1].

  1. Maurice à Saint-Séverin, 12 avril 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)