Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
REVUE DES DEUX MONDES.


être suspect : je vais produire le témoignage d’un étranger, M. de Hübner. Je le cite de préférence à tout autre ; voici pourquoi. D’une intelligence peu ordinaire, il a occupé de hautes situations dans sa pairie ; sujet d’un empire, l’Autriche, qui n’a point de colonies, il a pu observer l’Inde anglaise sans envie ni préjugé ; enfin il a montré, plus d’une fois, de la sympathie pour notre pays, et ce qu’il a dit de notre petite colonie de l’Inde n’est pas, tant s’en faut, pour nous déplaire. Or, à vingt reprises, au cours de ses notes de voyage, M. de Hübner revient sur les sentimens d’estime et même d’admiration qu’il professe pour les fonctionnaires du service civil de l’Inde, pour leur abnégation, leurs talens, leur intégrité, la curiosité de leur esprit, etc.

« Ces hommes, dit-il, qui tiennent du héros, du missionnaire (de la civilisation), du diplomate, du juge, du soldat et de l’administrateur, vivent sous un ciel de feu. J’en ai peu vus qui ne portent pas sur le visage des traces de la fièvre et de la dysenterie, et cependant ils sont contens. »

« J’ai, dit-il ailleurs, rencontré partout des hommes dévoués à leur service, travaillant du matin au soir et trouvant, malgré la multiplicité de leurs occupations, le temps de s’occuper de littérature et d’études sérieuses. L’Inde est gouvernée bureaucratiquement, mais cette bureaucratie se distingue des nôtres sous plus d’un rapport. En Europe, les journées du serviteur de l’État se succèdent et se ressemblent. Il faut de grandes révolutions, des guerres européennes, pour en troubler la placide monotonie. Ici, il n’en est pas ainsi. La variété des devoirs élargit et façonne l’esprit du fonctionnaire anglo-indien ; les dangers qu’il peut courir d’un moment à l’autre retrempent son caractère. Il apprend à embrasser du regard de vastes horizons et à travailler dans son bureau pendant que le sol tremble sous ses pieds. Je ne crois pas trop dire en affirmant qu’il n’y a pas de bureaucratie plus instruite, plus rompue aux affaires, plus empreinte des qualités qui font l’homme d’État et, personne n’osera le contester, plus pure et plus intègre que celle qui administre la péninsule gangétique. »

Enfin, dans un dernier passage : « J’ai, dans ce qui précède, résumé fidèlement et consciencieusement les informations que j’ai pu puiser, sur les lieux, aux sources les plus directes et les plus dignes de foi. Je n’ai caché aucun côté faible qui m’ait frappé dans l’immense administration anglaise ; je n’ai passé sous silence aucune des accusations dirigées, à tort ou à raison, contre le gouvernement de l’Inde par des personnes respectables qui connaissent le pays. Mais, en se plaçant même au point de vue des pessimistes, qui n’est pas le mien, en faisant une large part aux infirmités et