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avoir chanté publiquement des chansons séditieuses tendant à exciter à la haine et au mépris de la royauté, » exclus pour deux ans de toutes les facultés[1].

En même temps qu’aux individus, on s’en prend aux institutions. En 1821, « considérant que plusieurs étudians de la Faculté de droit de Grenoble ont constamment figuré dans les troubles dont cette ville a été agitée à diverses époques, et qu’en dernier lieu un grand nombre ont fait partie des attroupemens qui ont arboré des signes de rébellion, » M. de Corbière supprime cette faculté. Un instant même, dans les conseils du gouvernement on se demande si, pour couper le mal dans sa racine, le mieux ne serait pas de supprimer toutes les facultés de droit. On ne remédiera pas au mal, fait observer le Ministre de la justice, « en transportant ces écoles de perdition d’un lieu dans un autre. Ces enfans inquiets n’y porteront-ils pas l’esprit irréligieux et révolutionnaire qui les agite ? Le danger, c’est l’agrégation. Le scandale se renouvellera tant que l’on rassemblera et partout où l’on rassemblera les jeunes gens du siècle, scandale qui ne finira que lorsque les écoles de droit seront fermées, abrogées et remplacées par l’instruction privée. » Et il conclut ainsi, lui, le chef de la magistrature : « Toutes les écoles de droit sont et demeurent abrogées. Que le jeune homme qui aspire aux honneurs de la magistrature ou aux nobles fonctions du barreau étudie solitairement au sein de sa famille les monumens de notre législation[2]. »

M. de Frayssinous n’alla pas si loin. Il ne supprima pas, comme on y avait convié son prédécesseur, les facultés de droit. Il rétablit même celle de Grenoble. Il se contenta de les assainir en les purgeant de tout enseignement philosophique et historique. On a vu que Royer-Collard y avait introduit le droit naturel, le droit public, le droit des gens et l’histoire des institutions. Autant de matières à controverses théoriques, autant de sources d’idées générales et partant séditieuses. Le droit écrit, le droit positif, le code, les pratiques de la procédure, tout au plus, comme introduction, comme préparation logique, l’explication des Pandectes, voilà à quoi l’ordonnance du 6 septembre 1822 réduit l’objet des Facultés de droit. D’écoles scientifiques, elles retombent écoles pratiques de Jurisprudence. On espère que, détaché de toute philosophie, de toute histoire, le code ne sera pas pour les jeunes esprits un ferment dangereux.

  1. Archives nationales, F. 17-4985a.
  2. Ibid., F. 17-4649, Observations communiquées par le Ministre de la justice au Ministre de l’intérieur.