Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour y mettre un personnel nouveau, pour y susciter un nouvel esprit. Son Université à lui, c’était une milice modeste, pieuse et passive, ne raisonnant pas, dévouée au trône et à l’autel. Il n’était pas éloigné de penser avec La Mennais que l’Université impériale avait formé « une race impie, dépravée, révolutionnaire. » Son devoir de prêtre et de légitimiste lui prescrivait de porter remède au mal. Il crut y réussir en recrutant l’Université dans les écoles normales partielles de M. de Corbière, ces noviciats obscurs où devaient se former, dès l’enfance, à l’esprit et aux mœurs de leur profession, les futurs professeurs. Ces écoles, il s’efforça, mais sans grand succès, de les organiser. Il s’y présenta fort peu d’élèves, et quelques années plus tard, il fallut rétablir à Paris, sous le nom d’École préparatoire, une École normale amoindrie, sans individualité, sans personnalité[1].

Non, l’erreur n’était pas dans la logique du système ; elle était dans les prémisses, dans le principe. Ce n’est pas seulement en sens inverse de la société française qu’agissait le gouvernement, c’est à rebours de la direction que prenait le génie français. Il était déjà bien téméraire d’espérer que ce peuple oublierait ses idées d’égalité, et que, de guerre lasse, il finirait par subir passivement des institutions en désaccord avec ce qu’il entendait garder de la Révolution. Mais croire qu’on éteindrait en lui tout esprit de spontanéité, d’examen et de liberté, au moment même où sa raison s’ouvrait, dans tous les sens, des voies nouvelles et s’exaltait à ses propres découvertes, c’était de la pure folie. On était alors à l’un de ces instans comme il y en a peu dans l’histoire d’un peuple. Après la longue jachère de l’Empire, dans le guéret de France, remué par les révolutions, ont germé tout à coup des semences inconnues de l’âge précédent, et c’est de toutes parts une floraison sans pareille.

Création universelle, et non pas seulement renaissance. Littérature, art, science, tout se renouvelle, se transforme, se développe et s’étend. Les vieilles formes classiques où ne subsistent plus que le convenu et l’artificiel, font place aux formes plus variées, plus riches et plus vivantes du romantisme. La palette de Delacroix efface sous ses couleurs le dessin de Guérin. Les éclatantes et larges formules de la préface de Cromwell font pâlir et rapetissent encore les tragédies d’Ancelot, de Népomucène Lemercier et de Soumet. Un courant de poésie lyrique, tel que n’en avait pas encore vu notre littérature, jaillit des cœurs. Le roman s’élargit et se diversifie. La critique littéraire se constitue. La philosophie remonte aux hauteurs. L’histoire s’applique à reconstituer

  1. Ordonnance du 9 mars 1826.