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Prophètes d’Israël, on surprend les mêmes désenchantemens et les mêmes espoirs : « Dans cette toute-puissance et cette impuissance de la science, tout le monde moral se décompose autour d’elle. Tous les principes dont vivent l’homme et la société sont mis en demeure de justifier de leur validité par raison démonstrative, et comme ils ne reposent pas sur la raison démonstrative, ils sont condamnés et sombrent. Devant la science, maniée par des inconsciens, tout ce qui est expliqué est justifié, et l’homme, sorti de la brute, est amnistié quand il y retourne… Pourtant ce débridement, chacun le sent, ne peut durer. L’âme moderne est meilleure que ses doctrines et, sous l’écume de la surface, la source d’idéal coule aussi profonde que jamais. Elle sait bien que ce ne peut être là le dernier mot de l’émancipation de la pensée, et qu’il y a là un sophisme qui la déshonore et la tue. La poussée qui porte au mysticisme une partie de la jeunesse n’est qu’une première réaction de la conscience, qui cherche une issue vers l’air pur ; réaction stérile, car le mysticisme est la mort de l’âme, mais qui annonce les révoltes fécondes. » — Et M. Darmesteter se rappelle avec à-propos des versets du prophète Amos, qui nous renvoient du fond de l’histoire un écho où se résument d’avance tous les cris, tous les gémissemens, toutes les observations sur soi-même et sur le monde que je viens de rassembler à travers ces livres :


Voici venir des jours, dit le Seigneur, où j’enverrai la faim dans ce pays, non la faim après le pain, ni la soif après l’eau, mais la faim d’entendre la parole divine. — Ils erreront d’une mer à l’autre, et du nord au levant ils courront pour chercher la parole divine : et ils ne la trouveront pas.


Amos ne vous persuade point ? Vous le trouvez vieux jeu ? Rentrez au cercle, écoutez la voix veule et blanche de Costard, vous savez bien, le Costard du Nouveau jeu, le gendre de Labosse, qui conclut pour tous ses contemporains, en terminant sa vie agitée : Je vais t’avouer une affaire ; tu ne vas pas te moquer de moi ? Eh bien ! plus je vais, plus je crois à l’immortalité de l’âme. Je te jure. » — Lui aussi, il balbutie de sa bouche pâteuse le cri des cigognes, cet homme. Je devrais frémir de citer en si grave compagnie M. H. Lavedan ; mais je prends mes notes, je l’ai dit, dans tous les livres parus à la même heure, lus ensemble ; on ramasse son bien partout où on le trouve. A parler franc, je ne frémis pas du tout : j’aime entendre le rire amer de Beaumarchais, dans cette gaîté sinistre qui témoigne et démolit autant que les lamentations des prophètes. Quand on interroge une époque, les dépositions des Beaumarchais valent celles des Montesquieu.