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Avant tout, que meure Rinalda, parce que Rinalda a trahi tout ensemble et Guido et la patrie. Fiancée jadis à Guido, elle s’est livrée à Conrad ; fille des opprimés, elle est devenue l’épouse de l’oppresseur. Elle doit être la première victime. Par un odieux stratagème on l’attire dans un guet-apens, chez Galéas, chez celui qu’elle a sauvé la veille, et là le terrible justicier se dispose à lui trancher la tête, par le glaive. Heureusement, Guido s’est caché sous une robe de moine pour entendre la confession de l’infidèle, et vous devinez ce qu’il entend. Avec un peu de réflexion, un peu de foi surtout en celle qu’il aimait, il l’eût deviné lui-même. La pauvre Rinalda n’a rien fait qu’avec des intentions saintes : pour sauver la vie du petit Rizzo, frère cadet de Guido, seul espoir de revanche, « Rizzo, dernière fleur de la dernière branche. » Cet odieux hymen a racheté cette précieuse vie. Et puis avec tous ses concitoyens, elle croyait mort le bien-aimé ; enfin, près de Conrad, elle n’aide point au mal, elle le conjure ; loin d’être la complice du tyran, elle est le bon ange de la patrie.

Son Guido vivant et retrouvé, qu’importe le passé ? A Guido maintenant d’agir. Elle l’aidera de son mieux ; elle va regagner le palais et servir au dedans les projets du dehors. Mais avant que demain le complot n’éclate, avant l’heure de la lutte, du péril, peut-être de la mort, que Guido vienne au moins ce soir la retrouver et lui redire qu’il l’aime. Il viendra, il vient ; mais auprès de Rinalda son frère l’a devancé. Plus patriote, plus héroïque, plus exalté que jamais, il a révélé à Rinalda que la ville, pour se soulever, exige un gage, un gage d’union entre le prince et le peuple : ce gage, c’est l’hymen de Guido avec Bianca, l’humble fille. Il faut donc que Rinalda renonce à son amour, qu’elle jette Guido dans les bras d’une autre, ou la sainte entreprise avorte et Ravenne est perdue. Je tâcherai, murmure la pauvre femme ; et quand Guido tombe à ses genoux, elle le repousse ; elle se refuse aux baisers d’aujourd’hui, à l’hymen de demain, alléguant la couche infâme où elle a dormi et l’ineffaçable souillure. Mais on frappe à la porte. C’est Conrad, averti par un traître, qu’un homme est chez sa femme « à cette heure de nuit. » Rinalda n’a que le temps de cacher Guido dans un oratoire ; Conrad veut lui arracher la clé ; elle la jette par la fenêtre dans le torrent qui bat les murailles. Soudain retentissent des cris d’alarme : le peuple s’est révolté ; l’émeute a envahi le palais ; Conrad périt dans la bagarre, et Rinalda, pour assurer l’union de Guido et de Bianca, mais pour n’y point survivre, résout elle-même de mourir. A la tête des assaillans, voici le frère de Guido, le héros toujours mystérieux. Devant lui, Rinalda s’accuse hautement, que dis-je, elle se vante d’avoir trahi, d’avoir enterré Guido vivant ; elle maudit la patrie et blasphème la liberté. Le glaive alors, le fameux glaive s’abat sur elle. Mais avant qu’elle expire, on délivre Guido, et la mourante justifiée, remerciée,