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règne dont il croyait être le maître. L’empereur Guillaume, lui, suit son chemin, mêlant tout dans sa politique, passant du socialisme au libéralisme commercial ou au piétisme, défaisant sans scrupule tout ce qu’a fait l’ancien chancelier. Il est occupé aujourd’hui à en finir avec ce qui restait du Kulturkampf et le dernier acte de sa prérogative souveraine est la présentation de cette nouvelle loi scolaire qui du premier coup a mis l’agitation et la confusion dans le parlement de Berlin. Au premier abord, cette loi semblerait n’intéresser que le royaume de Prusse et les écoles prussiennes ; en réalité, elle intéresse l’Allemagne tout entière par l’esprit qui l’a inspirée, par les conséquences qu’elle pourrait avoir. Elle soulève les passions et les contestations dans tous les pays allemands aussi bien qu’à Berlin.

C’est qu’en effet la loi nouvelle a une évidente gravité, une portée morale des plus caractéristiques. Elle est le signe d’un changement sensible dans la direction du gouvernement, l’expression vivement accentuée d’une politique de réaction. Le fait est que l’empereur Guillaume II, après avoir paru d’abord se livrer assez complaisamment à ses fantaisies de souverain réformateur ou novateur, n’a pas tardé à s’apercevoir et à s’inquiéter des symptômes qui se multipliaient autour de lui, du progrès de l’anarchie socialiste et des idées révolutionnaires, d’une certaine démoralisation publique. De là toutes ces lois qui se sont succédé depuis quelque temps contre l’ivrognerie et les cabarets, contre la prostitution, contre les propagateurs d’obscénités. Guillaume II veut être un restaurateur des bonnes mœurs ! le complément de ce système d’assainissement moral lui a paru être dans une réforme scolaire, et il n’a point hésité à mettre la main à l’œuvre en commençant par l’enseignement primaire. La loi nouvelle a pour principal objet de restituer le caractère confessionnel à l’enseignement, de soumettre les écoles à la surveillance des clergés des divers cultes, de rendre en un mot leur empire aux influences religieuses dans l’éducation. La loi va plus loin : elle fait de l’enseignement religieux une obligation même dans l’intérieur des familles qui veulent être dispensées d’envoyer leur enfant dans une école. L’État appelle la religion, toutes les religions reconnues, à son aide dans son œuvre de moralisation, et les ministres chargés de soutenir la loi nouvelle n’ont fait que préciser et accentuer cette pensée par leurs commentaires. Le ministre des cultes et de l’instruction publique, M. de Zedlitz, l’a dit avec une certaine éloquence : « Il ne faut pas que sur le sol de la Prusse un seul enfant puisse grandir sans qu’un son de profonde vérité morale soit venu frapper son oreille. » Le chancelier lui-même, M. de Caprivi, s’est engagé résolument dans la lutte, et n’a point déguisé que l’athéisme c’était l’ennemi, qu’on faisait la guerre à l’idée révolutionnaire et athée. C’est la pensée du jeune empereur, celle qu’il laisse entrevoir depuis quelque temps dans tous ses actes, dans tous ses discours, et