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ministère de M. Tisza, a voulu jouer hardiment la partie en dissolvant récemment le parlement et en tentant la fortune du scrutin. Il s’est flatté d’obtenir du pays la sanction de sa politique et une majorité promettant à son ministère une existence assurée à l’abri des orages de la dernière législature. Ces élections viennent de se faire effectivement dans le pays hongrois. Elles ont commencé assez paisiblement ; elles n’ont pas tardé à s’animer et elles ont fini par quelques incidens violens, même par des scènes sanglantes en Transylvanie. Le scrutin ne s’est pas fermé sans qu’il y eût des morts et des blessés. Au demeurant, la poussière du combat dissipée, la victoire est restée au gouvernement qui n’a d’ailleurs rien négligé pour vaincre. Les apparences au moins sont favorables. Sans doute, le ministère hongrois retrouve une majorité suffisante. Le président du conseil, le comte Szapary, a deux élections. Le ministre du commerce, M. Baross, est trois fois élu. Le ministre de la justice, M. Szilagyi, qui est passé de l’opposition dans le cabinet et qui a laissé de vifs ressentimens dans le camp de ses anciens amis, a eu lui aussi son succès, il a été nommé. Les apparences ne sont pas tout, cependant.

La vérité est que, tout en restant encore suffisante, la majorité ministérielle est moins forte que dans la dernière chambre. Bien des amis du ministère sont restés sur le champ de bataille et bien des élus ont eu des victoires pénibles. Les nationaux, les indépendans, qui forment le principal noyau de l’opposition, ont au contraire gagné des voix. Ils sont en progrès, et le chef le plus brillant de l’opposition, le prince Albert Apponyi, a eu particulièrement les honneurs du scrutin. Il n’a pas eu seulement l’avantage de plusieurs élections, il n’a pas craint d’engager directement la lutte contre le ministre de la justice, M. Szilagyi, à Presbourg, et peu s’en est fallu qu’il n’eût une victoire faite pour frapper le cabinet dans un de ses membres les plus éminens. De sorte que, si le résultat sommaire est en faveur du ministère, l’impression de ce dernier scrutin hongrois ne laisse pas d’être indécise. En réalité, le ministère du comte Szapary reste dans une situation assez difficile : d’un côté, il a devant lui une opposition habilement conduite par le comte Apponyi, avec qui il sera peut-être obligé de traiter ; d’un autre côté, le clergé, sans craindre de se compromettre, s’est jeté à corps perdu dans ces élections, et s’il n’a pas réussi partout, il a partout attesté une influence avec laquelle il faudra peut-être compter. La position est d’autant plus délicate que dans le fond, entre les partis hongrois, revient souvent la question du compromis de 1867, qui a réglé les relations de la Hongrie et de l’Autriche, dont le changement ne serait rien moins qu’une révolution dans l’empire.

Tous les pays ont leurs conflits intérieurs, et les plus petits n’échappent pas à ces luttes où sont en jeu leurs intérêts politiques, moraux ou matériels. La Belgique, pour sa part, n’a pas seulement sa situation