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ou aux écarts de doctrine, de quelque véhément prédicateur ou de quelque tribun échauffé par les ardeurs de la lutte et les applaudissemens de la foule. Sachons voir les choses de haut : ces haines de classes sur lesquelles les socialistes se plaisent à souffler, l’Église cherche à les éteindre. En Europe, comme en Amérique, elle s’applique à fermer les voies à l’internationalisme révolutionnaire. Elle seule peut-être lui dispute hardiment le terrain. Que tel ou tel groupe catholique, en tel ou tel pays, soit emporté parle belliqueux tempérament de ses chefs, ou entraîné par les passions de parti ou les intérêts de la politique locale, — l’action générale de l’Église n’en reste pas moins salutaire, fortifiante, pacificatrice.

Ne nous effrayons point de l’initiative prise par la papauté. Les hommes qui s’en alarment font fausse route. Ce n’est point pour bouleverser la société, c’est pour la consolider que l’Église se risque à intervenir dans nos luttes sociales. La fonction que lui attribuait notre égoïsme, celle de barrière contre les cupidités et de rempart contre les appétits d’en bas, l’Église continuera, malgré tout, à la remplir, parce qu’elle est conforme à sa mission divine. Si peu dignes que nous en soyons, la religion demeurera pour nous, pour nos propriétés, pour nos droits légitimes, une défense et une protection ; aujourd’hui encore, la pire calamité qui puisse atteindre nos sociétés modernes, battues par la marée montante des convoitises, serait la ruine de ce qui reste de l’antique digue.

Je souris, ou mieux, je suis pris de pitié quand je vois des hommes soi-disant éclairés et soi-disant libéraux s’alarmer, pour nos libertés publiques ou pour l’ordre social, de ces velléités d’intervention de l’Église. Il me semble entendre des revenans d’un autre siècle. Et vraiment se peut-il que notre France attardée en reste éternellement à ses vieilles querelles sur les envahissemens du clergé et l’insatiable esprit de domination de l’Église ? Cela était bon pour les bourgeois de la Restauration ou de la monarchie de Juillet ; mais ne s’est-il donc rien passé, et n’avons-nous rien appris depuis Béranger, ou depuis M. Havin ? Que tout cela cependant semble mesquin et misérable en face des formidables problèmes qui se dressent devant nous ! Qui ne voit que ce n’est plus du côté de « Rome et des jésuites » qu’est le péril ? Ceux qui frémissent encore à l’apparition d’une soutane ont beau se targuer d’être des hommes de progrès, ils ont beau s’affubler des noms de philosophes et de libres penseurs, ils ne sont que des hommes du passé, momifiés dans des formules vieillies, captifs d’une tradition surannée. Ils n’ont ni l’intelligence, ni la force de se dégager des lisières de leur enfance et des préventions de leur éducation. Ce