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au milieu des émeutiers, leur arracha des victimes, entre autres le président de Maisons, qui allait être assommé. Est-ce Condé qui payait ces bandits, comme on l’a répété souvent ? Écoutez la réponse : « Son Altesse n’a pas un sol et j’ay esté obligé de lui prester 20,000 livres pour son pain de munition[1]. » Tous ces hommes étaient si peu à lui qu’il dut se colleter avec eux pour se tirer de leurs mains : « Un de ceux qui crioient le plus fort et que M. le Prince avoit pris au collet lui avoua qu’ils estoient là seize qui avoient reçu chacun 17 sols de l’abbé Fouquet[2], » et ainsi des autres. C’est bien cette main qui puisait dans une bourse profonde et qui payait.

Ceci se passait le 23. Le 25, l’émeute fut plus terrible encore ; il y eut autant, peut-être plus de gens tués ou blessés qu’en aucune autre journée de l’année, même en celle du 4 juillet, dont nous parlerons plus loin. De ce jour, le parlement cesse de siéger. À ce corps conspué, paralysé, on veut substituer une sorte d’assemblée populaire à l’Hôtel de Ville, et l’on s’occupe des élections. L’esprit de la milice bourgeoise n’est plus le même. Il y a des compagnies factieuses qui s’emparent de certains postes et refusent de se laisser relever. Nul négoce, nulle sécurité pour les personnes ; ceux qu’on veut tuer ou voler sont des « Mazarins. » Parmi ces masses égarées, la fureur contre toute idée d’accord égale la résolution de ne pas combattre. Nombre de gens veulent fuir, trouvent les portes gardées. Il faut des déguisemens, mille ruses pour sortir de Paris. Les amis les plus ardens de Condé ne se font pas illusion. Quelques lignes d’un des plus turbulens, des plus passionnés, résument la situation : « Nos désordres augmentent tous les jours et sont à un tel point qu’on n’est plus occupé qu’à tirer Messieurs du parlement des mains des séditieux. Si les choses ne s’accommodent bientost, tout est perdu icy, et vous n’estes pas malheureux d’estre à Bordeaux[3]. »

Voici un rayon de lumière qui pénètre cette obscurité ; triste lumière ! Le bruit se répand que l’archiduc envoie au secours des Princes 4,000 fantassins, 8,000 cavaliers ; on dit même que l’avant-garde est à Vaux-sous-Laon. La rumeur avait si bien pris corps que Turenne s’avança de Lagny jusqu’à Dammartin pour observer les mouvemens de l’ennemi, et que M. le Prince fit occuper Poissy pour assurer aux Espagnols un passage sur la Seine en aval de Paris. La cour s’émut ; on y parla de nouveau de la retraite sur le

  1. Le président Viole à Lenet, 23 juin.
  2. L’abbé Viole à Lenet, 23 juin.
  3. Le président Viole à Lenet, 23 juin.