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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

là une malice des dieux pour se venger des lourds Béotiens qui profanent leur terre de prédilection. Soyez assuré qu’un jour les épigraphistes trouveront, en ces lieux, quelque dédicace à Apollon semeur de sable qui éloigne les Barbares et fait reculer jusqu’aux mers cimmériennes les bandes sauvages du redoutable Cook.

Si au contraire vous arrivez dans ce pays, en état de grâce, avec le ferme dessein de vouer à la déesse aux yeux bleus un culte de latrie et de vous agenouiller, avec émotion, sur le stylobate de son temple, les impalpables parcelles qui se détachent, en tourbillons, de ce sol sacré, vous semblent douces au goût et agréables à l’odorat. Elles vous apportent, comme d’alertes messagères, le parfum des montagnes prochaines. Un illustre sculpteur, un de ceux qui, de notre temps, ont retrouvé le secret de l’antique beauté, disait que ces vives étincelles insinuaient en lui l’âme errante de la race sobre et légère qui se nourrit, comme les cigales, de poussière, de chansons et de soleil.

Cet assez long espace, qui sépare le port et la ville, suffit déjà à faire surgir, aux yeux des voyageurs qui sont un peu préparés à ce pèlerinage, des visions antiques. Le Pirée est « l’échelle » d’Athènes, comme Volo est l’échelle de Larisse, comme Nauplie est l’échelle d’Argos, et Jaffa l’échelle de Jérusalem. Les émigrans qui fondaient une ville choisissaient presque toujours un lieu élevé, dans l’intérieur des terres. Il eût été dangereux de s’établir sur le rivage de la mer : les pirates pouvaient descendre à l’improviste et piller les maisons. On recommandait aux jeunes filles de ne point se promener sur les plages, si elles ne voulaient pas être emmenées très loin par des galères barbares. Les marchands, les pêcheurs demeuraient parfois au bord de l’eau ; mais, dès qu’on signalait au large une voile suspecte, ils se sauvaient vers la haute acropole qui abritait de ses remparts crénelés les images des dieux, les tombeaux des ancêtres et les trésors de la cité. Il a fallu de longs siècles pour que la mer cessât d’effrayer les hommes par l’apparition des figures méchantes et hostiles qu’elle amène des pays lointains. Les anciens auraient été bien surpris s’ils avaient prévu qu’un jour le rêve des citoyens paisibles et timorés serait de posséder une maison au bord de l’océan, et que les demoiselles bien élevées iraient, sans crainte des pirates, pêcher des crevettes dans les rochers les plus affreux.

On a le loisir de rêver beaucoup sur la route du Pirée à Athènes ; car on s’arrête assez souvent. Un usage, auquel les cochers manquent rarement, veut que l’on fasse halte devant la porte d’un petit café, situé à moitié chemin, et dont la façade, violemment enluminée par un artiste local, représente, en raccourci, presque toutes les scènes héroïques des guerres de l’indépendance. Là, on