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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

physique, que nul spectacle au monde ne peut donner au même degré. J’avoue que le Parthénon est le seul monument qui ne m’ait point donné de déception. Je me figurais Saint Pierre de Rome moins boursouflé et moins emphatique, Sainte-Sophie moins lourde, moins contrefaite, moins embarrassée de contreforts chargés de soutenir sa grandeur ambitieuse et chancelante. Le temple de la Vierge victorieuse, de la jeune fille souverainement sage et parfaitement pure, ressemble aux êtres vivans qui ont atteint l’achèvement de leur organisation et l’épanouissement de leur force. Il se suffit à lui-même ; il est robuste et charmant. Son accueil est souriant ; son attitude est dégagée et libre. Hélas ! les belles colonnes doriques, taillées dans ce marbre fin qui a la souplesse et la vie d’une chair délicate, ont été meurtries, à coups de canon, par un bombardement stupide, et les blessures sont encore ouvertes. Les dieux se sont enfuis des frontons martelés. La procession des Panathénées s’est trompée de route et a pris le chemin des pays barbares et froids.

N’importe, si ruiné, si délabré, si émietté qu’il soit, malgré ses trous béans, l’énorme lézarde qui l’a fendu en deux et qui a jeté à terre, dans un pêle-mêle de décombres, les colonnes écroulées et les chapiteaux brisés, le Parthénon reste la plus belle demeure que les hommes aient construite, pour y abriter l’effigie visible de Dieu. Il est l’idéal de la perfection logique. Jamais peut-être l’esprit humain n’a remporté sur le désordre des choses une plus belle victoire, que le jour où il a conçu cet équilibre stable, où il a atteint la beauté non par un furtif éclair d’imagination et de fantaisie, mais par l’effort de la pensée, la précision du calcul, par la splendeur de cette harmonie supérieure que les Grecs appelaient, d’un si beau mot, l’eurythmie. Il faut bien que tout cela soit vrai, puisqu’aucun homme, si humble qu’il soit, ne peut résister à l’impression d’apaisement et de clarté que l’on éprouve en face du Parthénon, et puisque tant de nobles esprits, dont quelques-uns sont partis de très loin vers ce doux pèlerinage, sont venus, comme M. Renan, faire leur « prière sur l’Acropole. »

Aucune gravure, aucun tableau, ne peuvent donner l’idée de cette merveille. Il faut admirer les temples de l’Acropole, dans le clair décor où ils ont fleuri, sous le chaud soleil qui a doré leurs marbres, sous le ciel en fête, qui baigne d’azur impalpable leurs colonnes et leurs frontons. Vers la fin du jour, les rayons obliques dorent de lueurs fauves la façade sévère du Parthénon ; le temple d’Erechthée profile sur l’horizon vermeil ses hautes et minces colonnes ioniques, qui ressemblent à des tiges de fleur. Le temple de la Victoire-sans-ailes, si petit qu’on le prendrait presque pour une chapelle, brille comme une châsse, tout au bout de la terrasse et si près du