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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

égide. Comme l’a démontré récemment un illustre historien[1], il y a une religion qui n’a pas péri, et qui est plus vivace que jamais au cœur de l’humanité : c’est le culte d’Athènes.

Assurément, si l’on regarde avec quelque attention le mur intérieur du sanctuaire d’Athéna, on retrouve, en couleurs éteintes, sur un placage de plâtre effrité, les mains fluettes, la tête penchée et les grands yeux fixes de la Panaghia byzantine. Plus loin, dans une encoignure du temple, un petit escalier en spirale conduisait au balcon du minaret d’où l’iman appelait les croyans à la prière. Il n’y a pas bien longtemps, une tour vénitienne, carrée et nue, se dressait au beau milieu de l’Acropole ; on a bien fait de l’abattre, malgré les réclamations de quelques artistes, qui ne voulaient pas voir ce qu’il y avait de douloureux dans ce pittoresque. Si l’on parcourt les récits et les radotages des chroniqueurs byzantins, on voit que souvent ils oublient Athènes, ou qu’ils lui accordent à peine une mention du bout des lèvres. Malgré tout, l’histoire d’Athènes n’a jamais pu se réduire à la simple biographie d’un district local. Quelque chose vivait en elle, qui devait la sauver. Pendant les années d’esclavage et de honte qui ont failli faire la nuit sur ce pays, les plus misérables des raïas savaient obscurément qu’un jour, après la fuite des Barbares, les nations viendraient en foule contempler le chef-d’œuvre du génie grec, et que l’on verrait briller de nouveau, sur la montagne chère à Pallas, la clarté qui sauve, le signal attendu qui mène aux combats et aux triomphes de la liberté.

La nouvelle Athènes n’occupe pas exactement l’emplacement de l’ancienne. Elle allonge ses rues, étale ses places, disperse ses maisons neuves dans le large vallon qui se creuse entre l’Acropole et le Lycabète. Elle s’étend avec une incroyable rapidité. Lorsque Chateaubriand la visita, elle n’était qu’un petit hameau, opprimé par de gros pachas ; Lamartine n’y trouva qu’un misérable village ; au temps d’Edmond About, le palais du roi était tout seul au milieu d’un champ de pierres, et semblait regarder au loin, d’un air assez mélancolique, les échafaudages des chantiers de construction ; maintenant, elle s’étend vers le bois d’oliviers et les flancs du Parnès, descend la petite vallée de l’Ilissus, cerne l’arc de triomphe d’Hadrien, envahit l’Anchesme, s’engage sur les routes de Kephissia et de Patissia, et grimpe joyeusement aux pentes abruptes du Lycabète. Elle est claire et gaie, et si elle n’était pas si dénuée de feuillages et d’ombre, elle ferait penser à Nice ou à Menton. Lorsqu’on la regarde du haut du belvédère de l’Acropole, on est frappé par l’éclat aveuglant de ses façades de marbre, auxquelles les

  1. Ferdinand Gregorovius, Athènes au moyen âge, 2 vol. Stuttgart, 1889.