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carrières, toujours ouvertes, du Pentélique, suffisent encore ; et sa nudité coquette manquerait tout à fait de couleur locale, si la coupole de la métropole et le dôme vert de Sainte-Irène ne nous avertissaient que nous avons devant nous une cité byzantine. Pour la voir dans toute sa grâce, il faut monter, à la fin de la nuit, à une petite chapelle de Saint-George qui termine le Lycabète, comme une pierre de faîte, et attendre là, pendant que le pappas dit sa première messe, que le soleil se lève. Soudain, au-dessus du Pentélique, une mince bande rose avive la pâleur du ciel. La masse bleuâtre de l’Hymette, encore endormie, s’éclaire peu à peu. Une lueur blême s’épand sur la ville blanche. Des coqs chantent. Dans les casernes, la diane sonne. La mer, le long des côtes fauves et dentelées, se délivre lentement de l’ombre et s’éveille au souffle du matin. Puis l’orient prend une couleur plus intense, une ardeur plus enflammée. Le Pentélique est nimbé d’une radieuse auréole. Il se détache, comme un immense fronton, sur un fond d’or. La bande vermeille s’étend, démesurée. La mer se colore de violet. Le ciel, au-dessus de l’Ægaléon, s’illumine d’irradiations roses… Puis, au milieu de la ville silencieuse, où de rares promeneurs, déjà éveillés, passent, de loin en loin, comme des ombres, parmi les maisons dont les fenêtres sont closes comme des yeux assoupis, l’Acropole resplendit, isolée et superbe, dans une gloire d’or…

Lorsqu’on flâne au hasard, à travers la ville, on est tenté, tout d’abord, de trouver les rues trop droites, les trottoirs trop réguliers, les boulevards trop larges, les maisons plates, banales ou gauchement emphatiques. En effet, la rue d’Hermès et la rue d’Éole sont deux corridors qui se coupent à angle droit ; le boulevard du Stade, le boulevard de l’Université et le boulevard de l’Académie ressemblent assez à trois routes départementales, peu distantes et impitoyablement parallèles. Le palais du roi est rectangulaire, criblé de petites fenêtres, déplorablement semblable à un hôpital ou à une caserne : le roi George, qui est un homme de goût, ne l’aurait sûrement pas fait bâtir dans ce style qui mettait en joie l’âme bavaroise d’Othon, son prédécesseur. La place de la Constitution est, pendant six mois de l’année, un Sahara. La place de la Concorde est un désert planté d’arbres chétifs et maigres. L’aspect de beaucoup de maisons et de la plupart des monumens rappelle le temps où une nuée d’architectes allemands s’abattit sur la Grèce et voulut faire d’Athènes une contrefaçon de Munich[1]. Et pourtant, telle qu’elle

  1. Heureusement, un architecte français, M. Troump, s’est établi à Athènes depuis quelques années. Il a construit plusieurs maisons dont les voyageurs remarquent aisément, parmi les colonnades bavaroises, l’élégance et le bon goût.