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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

monde que le parfum capiteux de leurs cheveux lourds et l’étincelle qui tremble au fond de leurs prunelles ardentes ?

En tout cas, leur beauté un peu sauvage, leur grâce à la fois provocante et farouche sont dignes de l’antique réputation de la race et l’on comprend qu’elles aient affolé beaucoup d’esprits faibles. Elles sont délicieusement mobiles et capricieuses. Elles ont un charme qui leur est particulier et que l’on ne retrouve point dans le reste de l’Orient. Les Roumaines sont imposantes et attirantes ; mais leurs yeux magnifiques semblent noyés d’ivresse, et leurs appas languissans manquent de ressort. Les Smyrniotes, dont la beauté est exubérante et molle, exagèrent, par des artifices trop évidens, la longueur de leurs yeux ; et leur nonchalance, appesantie par les lourdes siestes dans les hamacs où elles se bercent, fait trop songer à la torpeur du harem. Les élégantes que l’on voit passer, le dimanche, à Constantinople, dans la rue de Péra, soigneusement corsetées, fardées et pommadées, sont malheureusement de race mêlée, et l’on retrouve, dans leur allure, quelque chose de composite et d’international qui suffit à prouver que de nombreux conquérans, sans compter les Turcs, ont longuement occupé le pays. Les femmes d’Athènes, même en supposant qu’elles ne descendent pas toutes de Périclès et d’Aspasie, sont bien, en tout cas, les filles d’une race fine, d’une terre ardente, lumineuse et sobre. Non pas qu’elles soient façonnées selon les règles de l’art classique. Elles ressemblent plutôt à des figurines de Tanagra qu’à la Vénus de Milo, avec une pointe de sauvagerie mutine qui rappelle le voisinage de la race albanaise. En général, leurs cheveux sont furieusement noirs et leurs yeux brillent sous le voile des longs cils ; leur teint est mat, légèrement pâli, comme au temps d’Alcibiade, par la céruse. À quinze ans, elles sont assez minces ; leur maigreur attique est étoffée et robuste. À vingt ans, leur beauté s’épanouit comme une fleur splendide, nourrie de lumière et saturée de soleil. Hélas ! leur charme inquiétant dure parfois ce que durent les roses sous le ciel d’Athènes ; souvent, après quelques années de rayonnement, leurs nobles formes, après avoir atteint à la majesté olympienne, débordent en ampleurs exagérées et éclatent en boursouflures intempérantes. Retrouverai-je jamais, dans l’intégrité de leur grâce, Artémise Vlakhopoulos, qui avait l’air d’une Junon et dont les grands yeux faisaient penser à cette épithète de Βοῶπις (Boôpis) qu’Homère prodigue à Pallas-Athéna ? Pénélope Télamonidis, dont l’opulente jeunesse avait tant d’éclat et de fraîcheur ? Cléopâtre Épaminondas, dont la crinière était noire comme la nuit et dont les yeux ressemblaient à deux étoiles ? Kathina Stamboulakis, qui avait, on n’a jamais su pourquoi, des candeurs de fillette ? Fôfô Tutunoglou, qui avait l’air d’une cariatide de l’Erech-