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barricade en avant de la rue de Reuilly et autres chemins de traverse ; ses réserves sont dans la vaste enceinte de l’abbaye Saint-Antoine.

C’était l’infanterie qui manquait surtout à M. le Prince ; il n’en restait plus pour la droite, moins immédiatement menacée ; il fallut suppléer au déficit avec des cavaliers qui se préparèrent au combat à pied et aux travaux de défense ; on les munit d’outils[1] ; Tavannes, qui avait déjà parcouru la route de Charenton le matin[2], eut le commandement de ce côté. M. le Prince lui ayant prescrit de s’établir assez loin au sud-est, à Picpus, maison bien connue du Tiers-Ordre, le lieutenant-général fit remarquer qu’il serait là bien « en l’air » et reçut, non sans surprise[3], l’autorisation de se poster à sa volonté ; il en profita pour prendre une très bonne position, bien appuyée et bien reliée, autour de l’ancienne maison royale de Reuilly et dans les jardins auxquels le financier Rambouillet avait donné son nom.

Les six pièces qui composent toute l’artillerie sont réparties en deux batteries, l’une près de l’église Sainte-Marguerite, l’autre au-dessous de l’abbaye Saint-Antoine, balayant au besoin la rue de Charonne et le cours de Vincennes. La réserve générale est placée dans la halle et dans les chantiers, à la naissance des trois grands chemins. Elle se compose du régiment de Bourgogne-infanterie, de l’escadron doré des volontaires, très vaillans, mais peu maniables, et d’environ douze cents chevaux de cavalerie régulière.

Huit heures vont sonner. Voici l’instant d’amener l’ennemi à brusquer son mouvement offensif, à procéder sans ensemble par des attaques successives.

M. le Prince s’était avancé avec cent cinquante chevaux sur le chemin de Charonne, en avant de la Croix-Faubin, couvrant ses travailleurs, guettant surtout l’occasion de provoquer son adversaire. Dès qu’il vit l’avant-garde de Turenne à portée, il la chargea et la poussa jusqu’au pied des hauteurs où Louis XIV venait de s’établir. Mazarin avait conduit le jeune roi sur la terrasse d’un jardin qui deviendra le cimetière du Père La Chaise, pour le faire assister à la fin de la plus brillante des battues. Depuis vingt-quatre heures, M. le Prince était traqué, poussé l’épée dans les reins. Le

  1. Mémoires de Tavannes.
  2. Il avait été envoyé pendant la nuit à Charenton pour tracer le camp. Rappelé par M. le Prince, il venait d’arriver.
  3. « Il faut que M. le Prince soit bien poussé, » pensa Tavannes, qui n’était pas habitué à tant de liberté ; en effet, Condé avait en ce moment fort à faire avec Turenne et Saint-Maigrin.