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gouvernemens de l’Europe comme Mirabeau avec les partis ; il s’arrangeait pour tenir son jeu en occupant tout le monde, et il n’était pas de tabatière où il refusât de puiser. Il ressemblait à la joueuse de Camille Desmoulins, à cela près qu’il n’y eut jamais de langueur dans ses yeux. Il a toujours été la plus fière, la plus impérieuse des coquettes.

La jeunesse a une répugnance naturelle pour les situations compliquées et incertaines ; elle s’accommode difficilement de la politique ondoyante, sinueuse, des atermoiemens, des délais. Prompte à agir comme à parler, elle veut savoir à quoi s’en tenir ; elle tranche dans le vif, elle aime à tout régler, à tout décider ; elle préfère les francs ennemis aux amis douteux et les dangers évidens aux périls cachés. Il semble qu’après avoir, au début de son règne, essayé de reconquérir les bonnes grâces du tsar, ses avances ayant été froidement reçues, Guillaume II, piqué de son échec, ait conçu désormais le projet d’isoler la Russie. Il a fait une tentative maladroite et malheureuse pour se rapprocher de la France, et ses voisins de l’est, tout en constatant son insuccès, ont pris note de son intention. Il ne lui a pas suffi d’entretenir avec l’Angleterre de bons rapports ; il a voulu s’assurer, peut-on croire, qu’elle lui accorderait son assistance militaire dans de certaines éventualités, et il attachait tant de prix à son alliance qu’il lui a fait de grands sacrifices en Afrique. Rien n’était plus propre à exciter les ombrages de l’empereur Alexandre III ; on le bravait, on le provoquait, et la réplique ne s’est pas fait attendre.

Le parti des regrets reproche à Guillaume II d’avoir tout gâté, tout compromis par ses inopportunes campagnes diplomatiques. On a pu le soupçonner de tramer quelque entreprise contre la Russie, et ses alliés eux-mêmes ont eu lieu de craindre qu’il ne les entraînât dans une fâcheuse aventure. On prétend qu’avant de renouveler le traité, l’Italie, désireuse de s’assurer que la triple alliance conserverait son caractère purement défensif, s’est fait donner à cet effet de nouvelles garanties. A Vienne aussi, on semble avoir senti le besoin de parer à certains dangers. M. de Bismarck s’était fait une loi d’être toujours assez bien avec la Russie pour pouvoir lui offrir ses bons services quand elle avait quelque question à débattre avec l’Autriche ; il tenait beaucoup à conserver son rôle de médiateur officieux et nécessaire. Dernièrement l’archiduc François-Ferdinand, héritier présomptif de la couronne, a fait une visite à la cour de Russie. Les rôles étaient intervertis, et M. de Bismarck a fait signifier à l’Allemagne par ses pamphlétaires que c’était là un symptôme des plus graves, que jamais pareil incident ne se serait produit quand il était le maître des affaires.

« M. de Caprivi, disent-ils, paraît considérer comme un des facteurs les plus importans de sa politique le don de séduction de l’empereur Guillaume II. Il semble s’imaginer que toutes les difficultés de la