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avoir lui-même préparé sa chute. Assurément, on n’aurait pas dit, il y a six mois, qu’il devait avoir cette un après tout assez médiocre. On était alors à ce moment presque unique, où tout semblait sourire à la fortune de la France, à ce moment des réceptions de Cronstadt et de Portsmouth, des manœuvres de l’est, d’une sorte de manifestation spontanée et universelle pour l’apaisement intérieur, pour la paix morale et religieuse. Le gouvernement avait plus d’autorité et de force qu’il ne le croyait lui-même. Comment donc tout cela a-t-il changé si rapidement ? Est-ce que notre diplomatie aurait perdu par ses fautes ce qu’on croyait avoir reconquis ? Non sans doute ; on n’a aucune peine à reconnaître que M. le ministre des affaires étrangères a dirigé avec une habile mesure les relations de la France. Est-ce que nos intérêts militaires auraient paru compromis ou mal servis ? S’il est une chose généralement admise, au contraire, c’est que le dernier président du conseil, ministre de la guerre, par son zèle, par son intelligente et industrieuse activité, a singulièrement contribué pour sa part à refaire cette armée nouvelle dont les manœuvres de l’automne ont offert le rassurant et patriotique spectacle. Non, ce n’est pas cela !

La vérité est que si une situation en apparence si forte s’est trouvée rapidement amoindrie, tout le mal est venu de cette éternelle et irritante question religieuse que les radicaux se sont hâtés de raviver et d’envenimer, au risque de subordonner à leur passion de secte les plus sérieux intérêts de la France, — par laquelle le ministère lui-même s’est laissé embarrasser et enchaîner. Qu’il y ait eu à un certain moment des lettres, des mandemens plus ou moins opportuns de quelques évêques plus vifs que prévoyans, c’est possible : ce n’étaient là après tout que des incidens secondaires, faciles à dominer. Cette effervescence épiscopale à contretemps n’était pour les radicaux qu’un prétexte tout trouvé, perfidement exploité. On le sentait, et il est évident que, si le ministère, sans se laisser émouvoir par les criailleries de secte, avait maintenu sa politique, si, dès l’ouverture de la session, il avait ressaisi d’une main ferme et résolue cette délicate et épineuse question religieuse, il aurait gardé son autorité et ses avantages dans la chambre comme hors de la chambre. Il serait resté, comme on dit, maître de la situation. Le malheur du ministère a été de manquer l’occasion d’exercer son autorité, de préciser sa position, de céder aux intimidations et aux menaces de secte, de donner dès le premier moment aux radicaux la mesure de ses défaillances ou, si l’on veut, de ses indécisions. Son erreur, sa faiblesse a été de se laisser entraîner dans une voie où il n’a cessé de flotter entre toutes les contradictions : d’un côté désavouant toute pensée de guerre religieuse, refusant de se prêter à la séparation de l’Église et de l’État, — d’un autre côté cédant à des impatiences de répression, livrant quelque évêque pour désarmer les passions de secte ; un jour parlant encore d’apaisement, de