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par la libéralité un peu naïve avec laquelle on a ouvert la carrière à toutes les aspirations, à toutes les contestations, à toutes les nouveautés et peut-être à toutes les subversions.

Qu’on remarque bien comment est né et a grandi ce mouvement révisionniste qui agite aujourd’hui la Belgique. Il a commencé dans les réunions populaires par la revendication du suffrage universel. Tout se bornait à une réforme électorale, à un choix entre les applications diverses du suffrage universel. Chose extraordinaire ! ce qui semblait déjà un peu révolutionnaire a été bientôt étrangement dépassé ! On ne s’en est plus tenu au suffrage universel, aux motions de M. Paul Janson ; on est allé bien plus loin, et ce sont les chambres elles-mêmes, c’est le gouvernement tout le premier, qui ont pris l’initiative d’une révision plus générale, étendue à une multitude d’articles de la constitution, au risque de remettre en doute le principe même du régime belge. On en revient tout simplement sans le vouloir au point où l’on en était au congrès de 1830. — Ainsi la révision, telle qu’elle est proposée dans le programme officiel, toucherait à quelques articles qui règlent la successibilité au trône dans des cas déterminés ; fort bien ! mais alors c’est la question monarchique qui se rouvre tout entière, qui est livrée à toutes les polémiques, qui va être débattue devant le pays, devant l’assemblée constituante qui sera nommée, — et après soixante ans d’existence, la monarchie belge est remise sur la sellette comme au premier jour. S’il y a des républicains en Belgique, ils ont beau jeu, ils sont libres ; ce n’est point certes la France qui les encouragera dans ces propagandes et organisera des Risquons tout pour les soutenir ; mais qui sait si l’on dira toujours, comme en 1848, que la république, pour faire le tour du monde, n’a pas besoin de passer en Belgique ? Est-il bien prudent de rouvrir ces perspectives ?

Ce n’est pas tout. Par une sorte d’obsession d’idées, on a imaginé d’introduire dans la révision cette étrange nouveauté, le « référendum royal, » le droit pour le souverain d’en appeler directement, personnellement au peuple sur toutes les œuvres du parlement. C’était, dit-on, une nécessité d’armer la royauté, de fortifier le pouvoir exécutif en présence de l’extension du suffrage populaire. Soit ; mais y a-t-on bien réfléchi ? Ce qu’on propose est ni plus ni moins une hasardeuse révolution constitutionnelle. C’est la substitution du régime plébiscitaire et personnel au régime représentatif et parlementaire. C’est l’annulation organisée du droit des assemblées toujours menacées d’un appel au peuple fait pour dominer ou désavouer leurs résolutions. Depuis soixante ans, la monarchie belge, avec le roi Léopold II comme avec le roi Léopold Ier, a pu avoir des momens difficiles, elle s’en est toujours tirée en restant dans son rôle de médiatrice prudente et respectée entre les partis. Où était la nécessité de tenter cette expérience nouvelle qui a le double inconvénient de mettre la confusion dans les