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à la barricade qu’ils ont devant eux. — C’est la contre-partie de la folie de Saint-Maigrin. — En quelques instans, la rue est jonchée de morts ou de mourans, La Rochefoucauld, Flamarens, le comte de Castres, La Roche-Giffard, bien d’autres ; Nemours blessé tombe, se relève, est blessé une seconde fois à la main qu’il mettait sur la barricade pour l’escalader. Les survivans tourbillonnent éperdus. Condé accourt, pousse son cheval à travers les clôtures, saute dans la rue avec quelques soldats de « Bourgogne, » reprend les corps des mourans et des morts, et, tandis qu’une partie des compagnies qui le suivent se dispersent dans les jardins et les cours, pénètrent dans les maisons par derrière, lui, seul à cheval, l’épée à la main, sous le feu croisé des mousquets qui ne visent plus que lui, conduit ses fantassins sur les barricades, qu’il emporte, et mène battant l’ennemi jusqu’au carrefour des rues de Reuilly et de Rambouillet. Il ne peut aller plus loin ; l’ennemi est là trop solidement logé ; les mousquetaires des deux partis restent embusqués face à face. Ceux qui sont gisans çà et là et qui respirent encore sont ramassés, les uns juchés sur leurs chevaux, les autres emportés comme on peut ; les rues sont vides, l’infanterie est derrière les murailles, la cavalerie dans les enclos ; on ne tire plus.

Dans ses Mémoires, Turenne, traçant une rapide esquisse du combat du 2 juillet, termine son laconique récit par une déclaration nette et précise, qui vaut bien des phrases : « Les ennemis demeurèrent toujours derrière les grandes traverses du faubourg, d’où ils avaient rechassé les nôtres. On leur prit à la main gauche (rue de Charenton) une barricade que l’on garda ; mais on ne put passer outre en aucun endroit, toute l’infanterie ayant été fort rebutée… » Pesons ces quelques mots : « On ne put passer outre en aucun endroit. » Qu’ajouterons-nous à cet aveu ? Où trouver un témoignage plus formel de l’avantage remporté par M. le Prince et ses troupes ?

Le combat a cessé ; le silence s’est fait partout ; mais la journée est-elle finie ? Beaucoup le croient ; M. le Prince en juge autrement ; il le dit à Tavannes, et se préparait à un engagement suprême, fatal peut-être, lorsqu’il reçut un message qui changeait la situation.

L’après-midi s’avance, deux heures viennent de sonner : il y en a six que le combat a commencé, qu’il dure sans aucune suspension, plusieurs fois déplacé, mais toujours intense et violent. Tout Paris est sur pied, entend le roulement non interrompu de la mousqueterie. La durée inattendue de l’action surprend, confond tous les calculs. Les amis de M. le Prince craignaient de laisser deviner