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réclamait, tous les précédens et tous les souvenirs diplomatiques, entre autres les plus récens et les plus chers à l’Angleterre, ceux de la paix d’Utrecht, qui n’avait pas donné lieu à moins de neuf traités différens entre tous les intéressés de la succession d’Espagne. Il croyait donc sa cause si bonne à défendre que, d’avance, il se faisait envoyer de Vienne un traité tout rédigé en dix-huit articles qu’il offrait à la France de signer directement avec l’Autriche, et le remettant à Saint-Séverin, il lui fit remarquer que, si l’Angleterre en prenait connaissance, elle ne verrait rien qui pût l’offenser, car elle restait pleinement libre de régler de même ses intérêts avec qui et comme il lui conviendrait. Saint-Séverin reçut la pièce, mais sans lui promettre cette fois de la faire agréer, et peut-être que Kaunitz n’y comptait pas[1].

Une prétention plus embarrassante, parce qu’elle reposait sur des motifs valables, fut celle qu’il émit au sujet de la restitution promise des Pays-Bas. L’Autriche entendait rentrer dans la possession pleine et entière de ces provinces, et la France avait toujours déclaré ne les avoir reçues et ne les garder qu’en dépôt. De ce côté, par conséquent, il n’y avait nulle contestation, ni à élever, ni à craindre. Mais j’ai déjà eu occasion de rappeler que, par un arrangement diplomatique qui avait suivi la paix d’Utrecht, l’Autriche avait reconnu à la Hollande le droit de tenir garnison dans la plupart des forteresses flamandes, afin de constituer ainsi une barrière (c’était l’expression consacrée) qui défendît la république contre toute agression de la France. Kaunitz déclara au nom de sa souveraine qu’il ne consentirait pas au renouvellement de ce singulier privilège, et il donna pour motif de son refus que, la plupart de ces forteresses ayant été déjà démolies à la suite de la conquête française, leur possession était devenue sans importance : d’ailleurs, elles avaient toutes cédé si facilement aux premières attaques de Maurice de Saxe que l’impuissance et la vanité de la précaution prise par la Hollande pour sa défense étaient suffisamment démontrées. La raison était bonne, mais ce n’était pas la véritable. En réalité, quand cette fameuse barrière avait été dressée, Autriche, Angleterre et Hollande sortaient d’une lutte acharnée

  1. Saint-Séverin à Puisieulx, 16-23 juillet, 2 août 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Béer, p. 46-53-170-175. — Cet écrivain donne le texte même du traité proposé, et ce qui prouve la ténacité des espérances de Marie-Thérèse, c’est qu’à ce texte étaient ajoutés deux articles secrets ayant encore pour but d’obtenir de la France la promesse de ne pas concourir à l’exécution du traité de Worms. Kaunitz savait si bien, par une première épreuve, qu’il ne pouvait rien obtenir de pareil qu’il se hâta, sur la prière de Saint-Séverin, de biffer lui-même ces deux articles : « Seulement, dit-il, ne nous mettez pas le couteau sur la gorge pour cette exécution. C’est tout ce que nous vous demandons. »