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trouverai dans peu sur un bon pied avec la Grande-Bretagne, qu’il y a une grande désharmonie et mécontentement entre la reine de Hongrie et l’Angleterre ; que le ministère autrichien est même dans une rage terrible contre l’Angleterre. Dans vos raisonnemens sur les conjectures présentes, vous vous bornez simplement à la cour de Vienne sans envisager en même temps le tableau universel de l’Europe, ce que pourtant vous dussiez faire pour vous convaincre que ceux qui gouvernent et donnent le branle aux affaires d’Europe ne sont pas rencognés à Vienne. » — Ainsi point de soucis : l’Autriche a beau résister, quand les subsides des puissances maritimes lui manqueront, elle poussera des cris de douleur, mais il faudra bien qu’elle cède ; les Russes ont beau avancer et s’attarder en Moravie, comme ils sont mercenaires de l’Angleterre, « ils n’y feront pas d’autre effet que s’ils étaient auprès des marais Méotides, et quant à la bonne intelligence qui semble vouloir se mettre entre la France et l’Angleterre, elle se fonde sans doute plutôt sur de simples complimens et politesses que sur quelque chose de réel. Les intérêts de ces deux couronnes sont trop différens et trop éloignés les uns des autres pour qu’il en résulte jamais rien de solide[1]. »

Quelque chose aurait toujours manqué chez Frédéric à la joie de l’orgueil triomphant et de l’ambition satisfaite, s’il n’avait pu y joindre le plaisir de se jouer, par des propos blessans, de ceux dont il s’applaudissait de contrarier les desseins ; et quand c’était la France qui se trouvait sur son chemin, ce contentement paraissait prendre pour lui une saveur toute particulière. Aussi, autant il se félicitait, pour son avantage personnel, de cette paix inespérée, autant il se plut à faire remarquer que le profit en était nul pour la France et qu’elle se faisait mal payer de ses sacrifices et du succès de ses armes : « Ce sont donc des idiots et des ignorans qui gouvernent la France, disait-il, pour savoir si mal tirer parti de leurs avantages. » — Ce jugement était exprimé si haut, et en termes souvent si plaisans, que Valori (attaché, à la vérité, au souvenir de d’Argenson et toujours prêt à prendre en bonne part le mal qu’on pouvait dire de son successeur) ne put s’empêcher d’en rire, et fit même la faute de s’y associer. — « Vous n’avez pas l’air content, disait la reine en souriant à cet ambassadeur. — Je suis enchanté, répondit-il, que le roi ait donné la paix à ses ennemis. » — C’était une manière assez fine et un peu hautaine de faire sentir qu’elle n’avait pas su la leur faire acheter.

Le seul des serviteurs de la France qui fut excepté du blâme

  1. Frédéric à Mardefeld, 27 mai ; à Podewils, ministre à Vienne, 24 mai, 3 juin ; à Chambrier, 22 juin 1748. — Pol. Corr., t. VI, p. 122-126-130-146.