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commun, c’était toujours le maréchal de Saxe, que Frédéric continuait encore, dans une lettre flatteuse, à combler de complimens. Encore pourrait-on trouver l’intention malicieuse de le distinguer de son gouvernement, dans le soin avec lequel, après s’être étendu sur les nouveaux triomphes que le maréchal aurait pu obtenir, si on l’avait laissé achever la campagne, Frédéric ajoutait : « Que la paix se fasse, ou que la guerre se rallume, que la France maintienne ses conquêtes ou qu’elle les restitue, que les Russes joignent les alliés ou qu’ils retournent aux fanges des Palus-Méotides dont ils sont partis, tout cela peut être égal à votre réputation… C’est une vérité que je n’ose vous dire en face, la gloire qui vous est acquise est si solidement établie que dans les fastes des guerriers, malgré la rouille de l’envie et l’oubli du temps, votre nom sera toujours célèbre parmi ceux des plus grands généraux qui ont réuni dans un plus grand degré de perfection des talens les plus opposés. » Et il finissait par l’inviter à venir auprès de lui avec son ami Folard qui « donne de bons préceptes et qui radote[1]. »

Quelques semaines se passent et voilà que rien ne se conclut : l’incertitude, au contraire, renaît et se prolonge ; son enchantement alors diminue. On lui apprend que des rapports intimes et confidentiels paraissent repris entre Kaunitz et Saint-Séverin. D’où vient cela ? Serait-ce que l’Autriche, furieuse contre l’Angleterre, au lieu de comprendre la France dans sa colère, tend au contraire à se rapprocher d’elle pour préparer sa vengeance ? « Surveillez cela, » écrit-il à Chambrier. Puis ce sont les retards et la marche également inexplicable des troupes russes qui le surprennent et l’inquiètent. Il n’en avait cure tant qu’il les voyait courir vers un champ de bataille dont il avait eu la prudence de se tenir à l’écart. Mais maintenant pourquoi restent-elles et même avancent-elles encore ? Pourquoi ces longues stations, puis ces rapides passages le long de ses frontières ? Serait-ce que l’Autriche, après avoir fait sa paix à tout prix, songerait à retourner contre lui ces redoutables auxiliaires et chercherait à retrouver au nord la compensation de ce qu’elle aurait dû céder au midi ? Enfin ce qui achève de le jeter dans une perplexité croissante, c’est le séjour du roi et du premier ministre d’Angleterre en Hanovre, le langage qu’ils y tiennent, leurs efforts visibles pour panser la blessure de l’Autriche et se faire pardonner par elle. Voici Legge qui revient après avoir profité du voisinage pour visiter son souverain. Ses sentimens sont très refroidis, son langage bien plus réservé ; il recherche les

  1. Valori, Mémoires, t. Ier, p. 278. — Frédéric à Chambrier, 24 mai ; à Maurice de Saxe, 20 mai 1748. Pol. Corr., t. VI, p. 119-123.