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la discorde qui, en épuisant tout le monde, le grandissait lui seul en proportion. — « On accuse, lui écrit franchement Chambrier, Votre Majesté de désirer l’affaiblissement de toutes les puissances, sans embarras de la destruction du genre humain, pourvu que Votre Majesté croie que cela convient à ses vues. Il y a, outre cela, des impressions données que Votre Majesté ménage peu le ministère de France, et que, dans ses soupers familiers, elle lâche quelquefois des choses qui blessent le maître et ses ministres. Je sais que ceux-ci ont le cœur un peu gros, et bien qu’ils ne m’en aient laissé rien entrevoir, qu’ils sont un peu piqués. »

Averti ainsi du tort qu’il s’était fait et ne voulant laisser fermer aucune des portes auxquelles il pouvait encore, dans l’occasion, avoir besoin de frapper, Frédéric prit le parti assez peu généreux de rejeter la faute sur le malheureux ambassadeur qu’il avait lui-même mené à mal : — « Vous direz au marquis de Puisieulx, écrit-il à Chambrier, que je prenais véritablement part à ce que le roi de France venait de rendre la paix à l’Europe d’une manière qui lui était d’autant plus glorieuse qu’elle était moins intéressée ; que, bien loin que j’en eusse témoigné le moindre mécontentement, j’étais pénétré de la plus vive reconnaissance envers Sa Majesté très chrétienne de ce qu’elle avait bien voulu me faire inclure dans les préliminaires ; qu’en attendant, je ne pouvais lui cacher que c’était le marquis de Valori lui-même qui avait jeté partout les hauts cris contre les préliminaires, qu’il en avait fait ses doléances à tous ceux qui les avaient voulu entendre et que, de mon côté, je l’avais fait avertir en secret de son imprudence. Vous insinuerez au marquis de Puisieulx qu’il se pourrait peut-être qu’on eût mis ces explications peu mesurées du marquis de Valori sur mon compte ; que je faisais avertir ingénument lui, le marquis de Puisieulx, qu’après que le marquis de Valori eût fait autant de bruit sur les préliminaires, je m’étais une bonne fois donné l’innocent plaisir, sachant le caractère de ce marquis, qui se fâchait aisément et avec qui on se divertissait quelquefois en le mettant en feu, mais qui se radoucissait d’abord qu’on lui disait quelque chose de flatterie sur la personne du maréchal de Belle-Isle, je m’étais, dis-je, donné l’innocent plaisir de l’agacer un tant soit peu, que cependant je ne pouvais pas concevoir que le marquis de Valori dût avoir pris des plaisanteries pour des choses sérieuses et en eût fait rapport de la sorte à sa cour : que si toutefois il en avait agi ainsi, j’espérais que lui, le marquis de Puisieulx, ne voudrait pas prendre pour un tout de bon ce qui peut-être s’était passé entre le marquis et moi pour nous égayer un peu,.. que, tout au contraire, le marquis de Puisieulx pouvait compter fort et ferme sur une continuation des sentimens