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à la Prusse sans contrister péniblement l’Autriche. A quel point Marie-Thérèse est offensée de se voir porter le dernier coup par une main qu’elle croyait amie, en quels termes elle qualifie cet abandon, c’est ce qu’on aurait peine à croire, si dans les textes que j’ai fait connaître, on n’entendait sortir de sa bouche même l’expression de son ressentiment. L’Angleterre, à ses yeux, par la garantie donnée à la conquête de la Silésie, s’est faite complice de l’attentat dont elle a été victime. Si le Prussien a fait le vol, l’Anglais, en le garantissant et en le mettant à l’abri de toute reprise, a joué le rôle ingrat de receleur ; et c’est tout au plus si le complice, moins hardi et plus perfide que l’auteur principal, n’est pas plus digne de réprobation. A ce grief, qui est toujours le plus grave, l’Angleterre a mis le comble par ses faiblesses pour le roi de Sardaigne, en sorte que, si l’héritage de Charles VI n’arrive à sa fille qu’après une double mutilation, c’est l’Angleterre qui la lui a fait subir. Aux traits que j’ai rapportés pour peindre cet état d’âme de Marie-Thérèse, il semble qu’on ne puisse rien ajouter : il en est un pourtant qui les complète et qui les couronne. La paix conclue, quand arrive à Vienne le nouvel envoyé anglais qui doit remplacer Robinson, l’impératrice refuse de le voir : « Je lui ai donné en réponse, écrit le ministre Uhlfeld en lui transmettant ce refus, qu’après avoir fait rapport à Leurs Majestés, ils avaient trouvé que nos pertes étaient trop récentes, et la plaie des préliminaires faits à nos dépens était trop fraîche, pour qu’il leur convînt de recevoir un compliment de félicitations, pendant qu’un de condoléance conviendrait de préférence. Je lui ai doré la pilule de mon mieux[1]. »

L’indifférence que l’Angleterre oppose à ces emportemens de la passion féminine atteste assez qu’elle s’y est préparée et même résignée d’avance, et que la perte d’une ancienne amitié, déjà remplacée par une nouvelle, si elle lui cause quelque regret, ne lui fait pourtant concevoir aucune inquiétude sérieuse. Sans doute, il y a encore des politiques attardés, entre autres le roi-électeur et son premier ministre, qui restent fidèles à ce qu’ils appellent le vieux système, à cette coalition des forces impériales et britanniques devant laquelle a fléchi, au début du siècle, l’orgueil de Louis XIV. Les victoires remportées en commun à Malplaquet et à Ramillies vivent encore dans plus d’une mémoire. Mais outre que dans la dernière campagne cette union, très difficilement maintenue, est loin d’avoir produit d’aussi brillans résultats, le bon sens du public anglais ne s’y trompe pas. Il comprend, d’instinct, qu’entre la catholique Autriche et la nation qui a chassé ses

  1. D’Arneth, III, p. 489.