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confiée à la même main, la poursuite du même dessein ne subisse ni interruption ni relâche.

Reste à savoir ce que fera la France de ces invitations qui, à certains momens, prennent le ton de véritables supplications. Mais comment le savoir si elle ne le sait pas elle-même ? Rien n’égale, on a pu tristement s’en apercevoir, en face de la révolution significative qui s’opère et dont les symptômes sont visibles, en quelque sorte à l’œil nu, l’irrésolution et l’embarras des hommes qui dirigent la politique de la France, ou plutôt qui sont censés la conduire. Louis XV prête peu d’attention à son conseil, et ses ministres ne s’entendent pas : aucun d’eux, le roi moins que tout autre, ne sait clairement ce qu’il pense et moins encore ce qu’il veut. On est las des caprices, des exigences, des impertinentes railleries de Frédéric, mais on n’ose lui déplaire. Les offres de l’Autriche sont séduisantes, mais pour les accepter, il faudrait rompre avec les traditions d’une inimitié séculaire, et le courage d’esprit fait défaut. C’est ainsi que se perdent toutes les faveurs de la fortune. Grâce à la division de ses ennemis, la France était maîtresse de faire la loi de la paix : mais il semble que, fléchissant sous le poids d’une situation trop forte pour le génie de ses ministres, elle se soit hâtée d’en déposer le fardeau par une conclusion précipitée, qui ne termine rien, laisse tout en suspens, et ne la fera pas sortir elle-même de ses perplexités.

Et pourtant, aujourd’hui que le temps doit avoir fait justice de préventions sans fondement, on ne comprend pas ce qui pourrait faire hésiter la France à céder aux instances pressantes de l’Autriche. A quelque point de vue qu’on se place, qu’il s’agisse de prolonger la durée de la paix, ou de descendre de nouveau dans l’arène, le rapprochement de l’Autriche présente à la France des avantages auxquels les plus sages conseillers de Louis XV sont déjà sensibles et qu’on s’étonne de voir si peu et si mal appréciés. C’est, au fond, la seule combinaison qui, servant de contre-partie et faisant contrepoids à l’intimité dont l’Angleterre et la Prusse ne feront bientôt plus mystère, puisse maintenir le repos précaire et l’équilibre instable, fondé à Aix-la-Chapelle sur des bases si chancelantes. Si au contraire, comme chacun s’y attend et s’y prépare, le sort de l’Europe est livré de nouveau aux chances de la guerre, où la France chercherait-elle, pour tenir tête aux menaces de l’orgueil britannique, un auxiliaire plus- sûr et maintenant plus ardent qu’à Vienne ? Est-ce à Berlin, où elle n’a jamais trouvé que des mécomptes, des déceptions, et la désertion au moment critique, suivie de la raillerie et de l’insulte ? Peut-elle oublier que, pendant que Frédéric, après avoir appelé ses armées au fond de l’Allemagne,