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et aux Éthiopiques. La sévérité de son jugement en aurait peut-être été mitigée. Manassès, Eustathe le Macrembolite, Eugénianos et les autres romanciers qu’il passe en revue, procèdent des Longus et des Héliodore. Ce sont des imitateurs qui n’ont pas cherché une nouvelle voie, et, — comme il arrive toujours en pareil cas, — la décadence n’a pas été longue à venir.

A côté de l’imitation des anciens modèles, il y a eu une autre influence dont il faut aussi tenir compte, celle qui a été exercée sur le monde byzantin, en général, par les élémens étrangers avec lesquels il s’est trouvé successivement en contact. Ainsi que le dit M. Gaston Paris : — « Le roman en prose est un genre qui se forme après la conquête de l’Asie, dans un milieu qu’on appelle hellénistique, qui fut le grand foyer où se mêlèrent, — pour la civilisation, la religion, l’art, la littérature, — l’Orient et l’Occident. Ce genre a été très fécond dans son pays d’origine, et nous n’en avons conservé qu’un petit nombre de spécimens. Il continua à prospérer dans la période byzantine. Plusieurs de ses productions furent traduites en latin et séduisirent les esprits occidentaux par la bizarrerie même de leurs récits où l’amour jouait toujours un grand rôle[1]. »

Plus tard, lorsque les Croisades eurent mis en contact les peuples de l’Europe occidentale avec ceux-de l’Orient, l’influence exercée par les uns sur les autres n’a pas été sans s’étendre à la littérature. Il en est sorti le roman de chevalerie. Mais ce roman adopta, en Grèce, la forme et la langue populaires. Or nous ne nous occupons ici que des œuvres écrites dans la langue littéraire qui a été l’organe de la littérature byzantine. L’emploi persistant de cette langue suffit pour donner aux écrivains qui en font usage cette raideur qui lait leur faiblesse, pour entraver le développement naturel de la littérature, pour lui infliger, en un mot, ce caractère plus ou moins factice, dont nous ne la verrons se débarrasser entièrement que lorsqu’elle se laissera dominer par le sentiment religieux.

Ce sentiment a trouvé à se taire jour même dans le domaine de la fiction. A côté du roman d’aventures ou d’amour, il y a le roman religieux. Le chef-d’œuvre du genre est la vie de Joasaph et de Barlaam. Cet écrit a, pendant longtemps, été attribué à Jean de Damas ; la critique moderne lui en conteste la paternité, elle n’en place pas moins la date dans la première moitié du VIIe siècle, c’est-à-dire à la meilleure époque de la littérature byzantine. Plusieurs des épisodes du récit se retrouvent dans les livres bouddhiques, et le nom même de Joasaph ne serait qu’une transcription phonétique d’un des noms

  1. Voir la Littérature française au moyen âge, p. 81.