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désormais possible d’en imiter. Lorsque la prosodie antique était perdue pour l’oreille, ils s’exerçaient encore dans l’ïambe ou dans les mètres anacréontiques.

Les poètes de la période précédente étaient aussi des imitateurs ; mais les Alexandrins étaient plus rapprochés de leurs modèles, et l’effort chez eux est moins apparent. Pour être tout à fait juste, il faudrait ajouter que, si l’époque alexandrine peut se glorifier d’avoir produit Théocrite, il y a eu parmi les Byzantins aussi quelques poètes qui ont su imiter les anciens avec bonheur. Ainsi, leurs contrefaçons d’Anacréon ont, pendant longtemps, donné le change à la critique, qui les rangeait parmi les productions véritables du chantre de Téos. Beaucoup de leurs épigrammes figurent avec honneur dans l’anthologie grecque. On pourrait aussi citer ici le seul drame qui nous reste de cette période, le Χριστὸς πάσχων (Christos paschôn), qui date du XIe ou du XIIe siècle, et qui a été si longtemps attribué à saint Grégoire de Nazianze. Mais, même chez les mieux doués parmi ces continuateurs de l’antiquité, on chercherait en vain la chaleur et l’originalité d’une véritable inspiration poétique. Les œuvres de ces poètes témoignent de la perpétuité des traditions classiques, elles font honneur au savoir et, parfois, au goût de leurs auteurs, elles offrent de l’intérêt comme monumens littéraires, mais elles sont loin d’être des manifestations poétiques d’un sentiment réel.

Un sentiment pareil existait-il chez les Grecs de l’empire ? A-t-il trouvé un moyen d’expression ? A-t-il inspiré des poètes qui puissent représenter leur époque mieux que ne l’ont fait les versificateurs parodiant l’antiquité ? En un mot, y a-t-il une poésie digne de ce nom dans la période chrétienne de la littérature grecque ? À ces questions, M. Krumbacher répond affirmativement et nous pouvons répondre comme lui.

On a refusé aux Grecs du bas-empire toute espèce d’idéal. On ne retrouvait pas chez eux l’amour de la liberté ; même l’idée de la patrie semble entièrement éteinte. On n’y voyait qu’une agglomération de peuples, sans autre cohésion que la dépendance commune d’un gouvernement central, sans autre principe politique que la tradition romaine transformée en despotisme asiatique, sans autre culture artistique que la servile et froide imitation des anciens, sans autre sentiment religieux qu’un attachement puéril à des simulacres de piété.

C’est principalement sur ce dernier point qu’il y avait erreur. Le sentiment religieux, il faut le dire encore une fois, a été, pendant toute cette période, aussi profond que puissant. Il tenait lieu de tout. Le signe de la croix sur le labarum était l’emblème sous lequel et pour lequel on se battait. L’empire orthodoxe, tout entier,