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représentait la patrie en face de l’ennemi, dans lequel on voyait l’infidèle ou l’hérétique bien plus que l’adversaire politique. La religion se mêlait à tout, dans les rapports avec les pays étrangers, autant que dans les questions d’ordre intérieur. Dans ces luttes perpétuelles au nom de la foi, la piété tournait souvent au fanatisme, on ne savait plus se garder contre l’intolérance, la dévotion devenait de la superstition. Mais, pour ne pas toujours rester éclairé, le sentiment religieux n’en était pas moins fort. Il soutenait les courages au milieu des combats, il consolait dans les désastres publics, il animait les esprits et réchauffait les cœurs. Voilà l’idéal de cette époque. C’est de là que procède tout ce que les Byzantins ont produit de meilleur. Il en est ainsi de l’art proprement dit. « C’est surtout dans le domaine religieux qu’il se manifeste avec toute son originalité et tout son éclat ; on ne saurait s’en étonner si l’on songe combien, chez les Grecs du moyen âge, la religion était puissante et se mêlait à toutes choses[1]. » Leurs monumens, leurs mosaïques, leurs manuscrits illuminés, leur orfèvrerie, leur sculpture sur bois ou sur ivoire, leur peinture, tout a le caractère religieux et a été inspiré par le sentiment chrétien.

C’est là aussi que la critique devait chercher la meilleure expression de leur génie littéraire. Leur littérature, leur poésie ne devait pas être jugée et condamnée d’emblée, avant qu’on eût examiné ce qu’elle a pu produire sous l’inspiration du sentiment qui a prédominé pendant toute cette période.

Les historiens hellènes, qui se sont occupés de cette partie de leur histoire nationale, ont tous, plus ou moins, senti et fait ressortir la valeur de leur poésie religieuse. Mais leur appréciation pouvait paraître entachée de partialité. Descendans de ces chrétiens si préoccupés des questions théologiques, fils des combattans qui ont accompli l’affranchissement de leur patrie en inscrivant sur leur drapeau la foi à côté de la liberté, on les croyait portés à se faire des illusions, ou, tout au moins, à exagérer la beauté poétique des hymnes et des prières qu’ils étaient accoutumés à entendre dès l’enfance. Du reste, les Grecs eux-mêmes, tout en faisant des réserves pour la poésie ecclésiastique, ont subi l’influence des savans occidentaux, qui accablaient de leur dédain la littérature byzantine tout entière, sans examiner ce que pouvaient contenir les eucologes et les bréviaires de l’église orthodoxe. Il est vrai que, dès 1871, MM. Christ et Paranicas avaient publié leur Anthologia grœca carminum christianorum ; mais ce qui avait, surtout, intéressé les hellénistes dans ce recueil (qui du reste ne

  1. L’Art byzantin, par Ch. Bayet ; Paris, A. Quant in, p. 104.