Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi s’est formé le réseau souple et serré, au centre duquel veille le club des Jacobins. Celui-ci relie et noue les uns aux autres tous les fils de cette gigantesque toile d’araignée qui enlace la France, qui paralyse jusqu’à la plus faible manifestation de sa libre et sincère volonté. Or, toutes ces sociétés solidaires échangent des communications, des avis, des renseignemens de toute sorte, des offres de service, des congratulations, des certificats de civisme ; elles se font part de leurs inquiétudes, de leurs soupçons, de leurs espérances, de leurs affaires particulières, de leurs vues générales… De là, une correspondance immense et incessante. Le club de Toulon a-t-il, par exemple, reçu avis de la présence à Aix d’un individu suspect ? Aussitôt, il prévient la société sœur, lui jette le cri d’alarme, l’exhorte à agir sans retard et sans ménagement contre le traître : « Salus populi suprema lex esto ! Et quel droit particulier ne s’anéantit pas devant le droit national ? Cicéron eût-il sauvé la République, s’il eût respecté dans Catilina le droit de citoyen romain[1] ? » Graves paroles ! Sous la forme un peu pédante du souvenir classique qu’elles rappellent, elles laissent entrevoir comme une première ébauche, molle encore, mais qui se précisera bientôt, de la farouche doctrine du salut public, invoqué comme raison suffisante en faveur de tant de crimes ! Le même jour, — 17 décembre 1790, — le club de Toulon écrit aux sous-officiers et aux grenadiers du régiment de Lyonnais, au lieutenant Ferréol, comme on l’a vu plus haut, pour leur offrir l’affiliation, aux Amis de la constitution d’Avignon, pour accepter celle qu’ils lui proposent. Et il en est de même tous les jours. Le club est une sorte de ministère universel et mystique : le ministère de la volonté du peuple. Sa compétence s’étend à toutes les matières d’ordre politique indistinctement. Après avoir délibéré, dans ses séances, sur les innombrables questions qu’il considère comme tombant de droit sous sa juridiction, il les tranche, dans ses

  1. Archives de Toulon. — Correspondance du club ; lettre du club de Toulon à la Société des amis de la constitution d’Aix, du 17 décembre 1790.