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dernier acte de la persécution, et ils étaient entrés dans l’armée ou dans les conseils du grand-électeur. Ce prince donna Rheinsberg au général du Hamel, qui le vendit au conseiller secret Chenevix de Béville. Des huguenots arrivèrent dans ces solitudes, Rheinsberg eut sa communauté de réfugiés qui élut un pasteur. La petite ville était devenue à peu près française, lorsque Frédéric la visita et eut l’idée d’acheter la seigneurie aux Béville ; car c’est lui qui a choisi l’endroit. Son père ne le laissait vivre en garçon à Neu-Ruppin qu’en attendant qu’il eût trouvé une maison où loger la princesse royale et le train d’une petite cour. Le prince fut séduit par la tranquillité du pays et par le charme de son paysage, peut-être aussi parce que la petite ville était plus éloignée de Berlin que Neu-Ruppin. Il n’était pas lâché d’allonger de quelques milles de sable le chemin entre son très gracieux père et lui. Dans les premiers jours de l’année 1734, l’acte d’acquisition était signé par le prince ; le roi le confirma, après quelques semaines de réflexion, et donna une bonne part du prix d’acquisition : le reste fut prélevé sur la maigre dot de la princesse royale.

Frédéric-Guillaume voulut que la ville fit toilette pour recevoir son nouveau seigneur. Il ordonna de laver et de peindre les maisons, de remplacer les toits de paille par des toits de tuiles et d’ardoises, et de paver la rue principale et la place du marché. Pour n’être point obligé de trop contribuer à la dépense, il fit remarquer que les pierres ne coûteraient rien et le charroi pas grand’chose. Il abolit les redevances de servage, octroya des privilèges pour tous les corps de métier imaginables et fit planter des mûriers dans le cimetière. C’est à croire qu’il s’imaginait que Rheinsberg pût devenir tout à coup une grande ville, mais c’était sa manière de demander le plus pour avoir le moins : l’occasion se présentant de nettoyer un endroit malpropre et de le relever de sa misère, il l’avait saisie.

Cependant les architectes démolissaient en grande partie le vieux château seigneurial et ils en transformaient les restes. Dès le milieu de la troisième année, la résidence était habitable. Le prince, la princesse et la petite cour s’y installèrent dans l’été de 1736. Frédéric avait approuvé le plan, donné ses idées et inspiré les artistes décorateurs. La maison a été faite sous ses yeux et pour lui et, comme l’homme qui bâtit son logis à sa guise y exprime sa façon de vivre et même quelques-unes des idées qu’il se fait de la vie, le château de Rheinsberg est un document sur l’histoire de la jeunesse de Frédéric.

Le château est dans le style du XVIIIe siècle, qui aimait les proportions réduites et la simplicité élégante, parce que le XVIIe avait aimé la grandeur et la majesté froides. C’est un bâtiment