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lui. Pesne, avant de quitter l’Italie, alla épouser à Rome la Française Anne du Buisson, dont le père, les trois frères et les deux sœurs étaient peintres de fleurs. Femme, beau-père, beaux-frères, belles-sœurs, il emmena tout ce monde avec lui à Berlin, car il était un très brave homme, qui avait de la bonté dans son air de bourgeois de Paris, ses grands yeux bien ouverts, son gros nez, la plénitude de ses joues et le sourire légèrement relevé de ses lèvres épanouies, et aussi du calme dans son menton solide, c’est-à-dire les vertus nécessaires pour vivre en caravane, comme il vivra toute sa vie. Il arrivait en 1711 à Berlin, pour y demeurer plus d’un demi-siècle. Il eut de durs momens à passer après la mort de son magnifique protecteur, Frédéric Ier, car le nouveau roi n’était ni magnifique, ni protecteur. Heureusement Frédéric-Guillaume, barbouilleur à ses momens perdus, avait quelques égards pour la peinture et les peintres, et la manie de donner et de collectionner des portraits. Pesne garda une petite pension, et le roi lui permit d’aller peindre dans les cours étrangères des princes et des scènes de chasse.

Pesne n’oubliait pas son Paris. En 1721, il présentait sa candidature à l’Académie qui l’agréait, et lui donnait pour sujet du tableau de réception Dalila coupant les cheveux à Samson. Deux ans après, allant en Angleterre pour y faire les portraits de la famille royale, il prenait séance dans la compagnie, qui le voyait encore au retour, et poliment lui souhaitait bon voyage. Revenu à Berlin, il dirigea un atelier, on pourrait dire une manufacture de portraits, où des aides nombreux travaillaient sous ses ordres à reproduire les effigies royales, princières ou simplement nobles. Il lui fallait beaucoup brosser pour peu gagner, et Pesne valait mieux que ces œuvres hâtives. Ce fut un bonheur pour lui d’être appelé à Rheinsberg. Il y passait plusieurs mois par an avec la troupe des du Buisson, et avec ses filles dont les yeux de Françaises ont dû dire de jolies malices aux Berlinois. A Rheinsberg, il se retrouvait dans un milieu de France ; il a mis de l’esprit et de la grâce dans ses scènes mythologiques et dans ses portraits. Les physionomies des hôtes de Rheinsberg revivent, vraies, finement vraies, sous ce léger pinceau et ce coloris discret. Le bon Pesne, qui était alors à mi-chemin entre la cinquantaine et la soixantaine, s’est refait une jeunesse à la cour du prince royal. Par le portrait de Frédéric, par la scène du triomphe du soleil, il a rendu ce charme d’aurore qui était répandu sur la veillée du règne.

Knobelsdorf était un vrai Allemand. Fils d’un protestant de Silésie réfugié en Prusse, il avait commencé par être soldat ; à quinze ans, il faisait campagne en Poméranie et pensait mourir de froid et de faim sous les murs de Stralsund assiégé l’hiver par le roi de