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— A-t-on suffisamment remarqué que c’est Jupiter qui a confié pour cette fois l’égide au dieu Apollon ? Elle est l’ordinaire attribut, non d’Apollon, mais du maître des nuées. Dans les représentations figurées, elle est portée au bras gauche comme arme défensive si la main droite tient le glaive ou la lance, et sinon, de la main droite plutôt que de la gauche. Le passage du livre XV de l’Iliade est, d’ailleurs, ce semble, le seul texte littéraire qui montre l’égide aux mains d’Apollon.

Dans le poème du Rhodien Apollonios (IV, 1692), les Argonautes, égarés en mer, adressent au dieu leur supplication ; aussitôt Apollon, dissipant l’ombre épaisse, étend sur la mer « son arc doré » à la lumière duquel Jason aborde dans l’île d’Anaphé. Il est trop évident qu’il ne s’agit ici que de l’arc-en-ciel. — Une autre Théophanie correspondrait mieux, ce semble, à l’attitude et au sens de la statue du Belvédère. Justin (XXIV, 8) nous a transmis le poétique récit de Trogue-Pompée sur la défaite des Gaulois devant Delphes : « Le danger devenait extrême pour les assiégés, dit-il, quand tout à coup les prêtres échevelés, l’air hagard, l’esprit en délire, s’élancent aux premiers rangs. » Ils s’écrient que « le Dieu est arrivé, qu’ils l’ont vu descendre dans le temple ; que, tandis qu’on implorait son appui, un jeune guerrier d’une beauté plus qu’humaine a paru à tous les yeux, accompagné de deux vierges armées, Minerve et Diane ; non-seulement ils les ont vus, mais ils ont entendu le sifflement de l’arc et le fracas des armes… » Les assiégés sentent bientôt eux-mêmes la présence des divinités ; la terre tremble, une tempête survient, avec la grêle et le froid, un quartier de la montagne se détache et renverse l’ennemi, qui fuit épouvanté. — On a cité bien des fois ce texte intéressant ; on a dit que les Delphiens, ayant institué en mémoire de cet épisode de l’année 278 avant J.-C. des fêtes solennelles, avaient pu consacrer dans la même occasion une statue au Dieu protecteur. Il est possible que l’Apollon du Belvédère ait eu précisément cette origine ; mais on voit qu’il n’y est pas question, expressément du moins, de l’égide, et c’est peut-être des flèches lancées par Diane que les prêtres ont entendu le sifflement.

On a contesté, d’ailleurs, que l’objet équivoque que tient de la main gauche la statuette Stroganof puisse signifier l’égide ; quelques-uns y ont vu la peau de Marsyas, que le dieu vient d’écorcher vif. Il paraît enfin que le bras gauche de la figurine est, lui aussi, une restauration, comme la main gauche de la statue du Belvédère, de sorte qu’il faudrait peut-être s’en tenir à l’ancienne opinion et faire amende honorable au dieu qui lance la flèche.

M. Helbig n’est cependant pas le seul, parmi les antiquaires les plus autorisés, à s’en rapporter à la statuette Stroganof et à