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changement accompli depuis Winckelmann et Lessing. Winckelmann professe que le siècle d’Alexandre a été le plus beau temps de l’art chez les Grecs ; l’art atteignit alors, suivant lui, sa plus haute perfection. « Un ouvrage de ce siècle, écrit-il en parlant du Laocoon, a été conservé à l’admiration du monde par un destin favorable qui veillait sur les arts, et voulait qu’une preuve subsistât de ce que l’histoire raconte sur la beauté de tant de chefs-d’œuvre anéantis. » Lessing croit que le Laocoon date du temps de Titus, et il déclare, lui aussi, que l’art grec a atteint précisément au temps d’Alexandre son plus haut degré de perfection. Excessive était cette admiration insuffisamment éclairée ; excessif serait le dédain de plusieurs critiques de nos jours. Il y en a un qui traite l’Apollon du Belvédère de poupée sans artères ni muscles ; un autre (c’est M. Taine) croit voir dans l’Apollon un jeune lord anglais qui congédie un importun… Certes, nous avons connu, depuis Winckelmann et Lessing, d’autres œuvres de la sculpture grecque infiniment supérieures à celles-ci ; il suffit de nommer Phidias et le Parthénon, les écoles attiques et l’ait dorien. Mais notre respect reste dû à ces autres ouvrages dont se sont inspirés Michel-Ange, Raphaël et toute la Renaissance. Ils ont été, en une certaine part, les éducateurs de l’art moderne ; ils demeurent de très sincères interprètes du génie antique. Ce qui les concerne est pour nous question de haute culture intellectuelle et morale. Ainsi s’expliquent et se légitiment les efforts de la critique érudite pour les mieux interpréter, et l’on doit souhaiter que de nouveaux progrès de cette critique apportent des solutions décisives à tant d’incertitudes qui les obscurcissent encore.


III

En observant, sans sortir de Rome et de la province de Rome, le progrès de la science archéologique dans ces dernières années, nous avons vu qu’elle a beaucoup fait pour l’histoire de l’art et pour l’esthétique. Elle n’a pas rendu de moindres services à l’histoire générale, à l’ethnographie, à la recherche des origines de la civilisation occidentale. Par elle, l’abîme de ténèbres qui s’ouvrait pour nous au-delà des plus anciennes notions historiques que l’écriture nous eût transmises a commencé de s’éclairer de lueurs inattendues ; le domaine de ce qu’on avait appelé le préhistorique a pris consistance, s’est affermi et précisé. Les découvertes de Schliemann avaient averti les explorateurs et ouvert leurs yeux : l’essor qu’il a donné se propage.