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toitures rouges du village de Laleuf et les coteaux derrière lesquels se dressent les belles ruines du château de Sarzay.

Afin d’égayer la retraite où elle comptait finir les jours d’une existence bien tourmentée déjà, Mme Aurore Dupin, grande dame dans ses goûts et ses actions, — elle avait été élevée par la dauphine Marie-Josèphe, — créa un parc, un verger, des serres et un jardin ; elle traça des allées soigneusement sablées et des charmilles ; elle planta à profusion des tilleuls, des peupliers, des marronniers, des ormes, dont les cimes élevées et massives donnent aujourd’hui à Nohant le caractère de résidence seigneuriale qu’il n’eut probablement pas au temps de la féodalité.

L’entrée du château est précédée d’une cour plantée d’acacias et de lilas ; elle fait face à la petite place du bourg ombragée par des ormeaux plus que centenaires. Une haute grille en fer, deux niches à chiens et le logement d’un concierge s’élèvent à l’entrée de cette cour comme pour en défendre l’accès aux vagabonds ; mais la grille est rarement fermée ; il n’y a pas de chien de garde et, grâce au ciel, il n’y a jamais eu de concierge. Au rez-de-chaussée se trouve une belle salle à manger aux riches boiseries de chêne ; c’est la première pièce dans laquelle on pénètre après avoir franchi un grand vestibule. A droite, est le salon ; il a toujours eu grand air avec son plafond élevé, ses larges fenêtres ouvrant sur le parc et ses vieux meubles Louis XVI.

Par un escalier de pierres blanches et bien éclairé, on arrive du rez-de-chaussée au premier étage, dans un corridor dallé de briquettes rouges et s’étendant en ligne droite dans toute l’étendue du logis. Sur ce corridor s’ouvrent sept chambres à coucher et la pièce qui devait être, à la fois, le cabinet de travail, l’herbier et la bibliothèque de George Sand. Elle vint à Nohant avec son père et sa mère en août 1808. Elle y mourut en juin 1876[1].

  1. Comme les Charmettes, Nohant abonde en visiteurs, et dans le nombre beaucoup d’étrangers. Sur la fenêtre du cabinet de travail de l’illustre écrivain, J’ai recueilli ces lignes qui, tracées au crayon et par sa main, vont, à bref délai, disparaître : Go, fading sun ! Hide thy pale beams behind the distant trees. Nightly Vesperus is coming to announce the close of the day. Evening descends to bring melancholy on the landscape. With thy return, beautiful light, nature will find again mirth and beauty, but joy will never comfort my soul. Thy absence, radiant orb, may not increase the sorrow of my heart : they cannot be softened by thy return. « Disparais, ô soleil ! Cache tes pâles rayons derrière les arbres lointains. Le nocturne Vesperus va venir pour annoncer la fin du jour ; le soir descend apportant la mélancolie sur le paysage. A ton retour, lumière splendide, la nature retrouvera encore la beauté et l’allégresse ; mais la Joie ne consolera Jamais mon âme. Ton absence, orbe radieux, peut ne pas accroître les chagrins de mon cœur ; ils ne peuvent pas être adoucis par ton retour. » Il y a une date : 1820. L’auteur de ces poétiques tristesses avait seize ans.