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XIII. — L’ÉDIT DE NANTES, LE BERRY DIVISÉ EN DEUX DÉPARTEMENS.

Le règne de Louis XIV ne laissa guère d’autres souvenirs en Berry, que les sacrifices et les misères que le peuple dut supporter pour aider, à l’éclat du trône, soutenir les frais de guerres désastreuses, et subvenir à l’entretien des favorites. Quelques-uns des personnages qui furent nommés gouverneurs de cette province à cette époque ne mirent jamais les pieds dans leur gouvernement. Le duc de Lauzun fut de ceux-là. Il n’y venait que des gouverneurs besogneux, et, à ce titre, elle eut longtemps à supporter le frère de Mme de Maintenon, d’Aubigné, ancien capitaine d’infanterie, homme de beaucoup d’esprit, mais vulgaire et singulièrement débauché.

La révocation de l’édit de Nantes, en date du 20 octobre 1685, fit sortir de la province un grand nombre d’industriels qui l’enrichissaient. On y comptait, en ce temps-là, cinq mille protestans, dont deux mille deux cents à Sancerre, où il y avait deux temples, deux ministres et un consistoire. Ceux qui ne s’expatrièrent pas et affichèrent imprudemment leurs croyances religieuses durent héberger « à discrétion » les trop célèbres dragons verts, les mêmes qui, en Béarn et dans d’autres provinces de France, commirent tant d’exactions. C’est par de tels moyens que le roi devenu vieux espérait se faire pardonner ses trop nombreux péchés de jeunesse. Les huguenots étaient contraints de chercher un refuge dans les bois, dans la brande déserte ; là, seulement, ils pouvaient prier : cela s’appelait « l’assemblée au désert. » Le zèle farouche des catholiques en vint jusqu’à raser les temples des réformés, et à refuser la sépulture à leurs cadavres. M. Raynal en cite un horrible exemple, consignés dans les registres d’Asnières, petite ville où, si l’on s’en souvient, prêcha Calvin.

Une femme d’Issoudun, nommée Anne Prévost, avait refusé au moment de sa mort les sacremens de l’église ; elle déclara au curé de Saint-Cyr qu’elle voulait mourir dans la religion réformée et qu’elle regrettait d’avoir abjuré. Dès qu’elle eut rendu le dernier soupir, une procédure criminelle fut dirigée contre son mari comme curateur au cadavre de sa femme, cadavre qu’on lui enleva pour le remettre aux mains du bourreau. Le lieutenant-criminel, appliquant à la lettre la déclaration du 29 avril 1686, ordonna que, pour réparation d’un grand scandale, la mémoire d’Anne Prévost serait éteinte et supprimée, que son corps serait placé sur une claie, la face contre terre, attaché derrière une charrette, puis, traîné dans les rues de