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entendre au fond de son être le souffle renaissant de sa vie suspendue ; le retour des mêmes occupations aux mêmes heures réglait le mouvement de ses pensées et le rythme de son cœur ; enfin l’âme des choses sacrées qui l’entouraient, se mêlant par degrés à son âme, la pénétrait de leur sérénité.

Deux fois le jour, on célébrait dans le grand temple l’office bouddhique. En longues files, silencieusement, les religieuses entraient par les portes latérales ; elles prenaient place sur neuf rangs devant l’autel où brûlait l’encens, et sur un signe de la supérieure, la cérémonie commençait. Toutes à l’unisson récitaient, sur un ton très bas, les litanies saintes : Om mani padmé houm ! — « Salut, perle divine enfermée dans le Lotus… » Et toutes ces voix, s’élevant et s’abaissant à la fois, faisaient comme le bruit d’ailes d’un grand oiseau qui s’envole.

Dans l’intervalle des offices, on instruisait Leï-tse des vérités de la foi bouddhique. On lui disait que les êtres sont tous condamnés à mourir, et que la vie est une mort anticipée ; que les trépassés reçoivent selon leur mérite une destinée nouvelle ; que les criminels et les méchans sont jetés aux tourmens de l’enfer ; que la foule humaine, dont l’existence s’écoula terne et médiocre sans grande vertu ni grand vice, reprend, sous l’enveloppe d’autres corps, le fardeau terrestre ; que les créatures épurées par la méditation et la souffrance sont affranchies de la dure nécessité de renaître et vont résider dans les sphères radieuses du monde immatériel ; que seule l’élite des âmes saintes, exemptes de souillure, détachées de toute passion et de tout désir, élevées par la contemplation à la plus haute perfection de l’esprit, parvient au Nirvana et s’anéantit au sein de l’Infini, comme une lampe qui ne se rallume plus. On lui enseignait encore que les vertus capitales sont celles de l’aumône et de la chasteté ; on lui apprenait à distinguer les trois degrés de l’extase, les quatre vérités sublimes, les cinq voies de l’existence, les six formes de la sagesse éminente, les sept substances sacrées, et les huit états successifs de la pensée affranchie ; on l’assurait enfin que les qualités surnaturelles du Bouddha sont plus innombrables que ce qui est sans nombre. Et ces croyances, ces symboles, ces formules mystiques frappaient d’autant plus vivement son imagination que sa jeune intelligence les pouvait moins comprendre.

Chaque jour aussi, à l’heure où le soleil disparaissait derrière la forêt, il y avait dans la salle principale du couvent de longues méditations en commun. Silencieuses, accroupies sur les nattes qui couvraient le sol, les religieuses concentraient avec ferveur leur esprit sur quelque verset du « Lotus de la bonne loi, » tel que