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Ferdinand, frère de l’impératrice Éléonore, désirant donner plus de lustre à sa petite université de Mantoue, fit demander à Zucconi, son résident à Vienne, de lui chercher un professeur de mathématiques. « Je ferai mon possible pour vous satisfaire, répondait le résident, mais il est bon de savoir que dans cette ville on s’occupe de toute autre chose : in questa città si attende a ogni allra cosa. » A Vienne, l’indifférence est une passion. Zucconi ajoutait qu’il y avait à Linz un homme nommé Kepler, réputé pour le premier mathématicien de l’Allemagne, mais qu’étant hérétique et aimant à rester chez lui, per star comodissimamente in casa sua, il ne pouvait faire l’affaire. Une autre fois on lui fit demander un livre qu’on ne pouvait trouver à Mantoue ; Zucconi ne le trouva pas davantage à Vienne, et on voit par sa réponse qu’il n’y avait alors dans cette grande ville qu’une seule librairie. Évidemment les Viennois de ce temps étaient de petits liseurs, et il leur en coûta peu d’attendre jusqu’aux premières années du XVIIIe siècle pour avoir des recueils analogues au Mercure galant, fondé dès 1672.

Littéraire ou politique, le journalisme a été arrêté dans tous les pays par les mêmes entraves, il a été sujet aux mêmes servitudes. Mais il y a censure et censure. Celle que Vienne a connue était une souveraine maussade, tracassière et pédante, à la voix aigre, au front sourcilleux, au teint plombé, qui n’entendait pas plaisanterie et pour qui les vétilles étaient des affaires d’État. Elle avait pour principe que condamner un innocent est un péché véniel, que le péché contre le Saint-Esprit, le seul irrémissible, est de faire grâce à un coupable, et elle frappait à tort et à travers, en laissant à Dieu le soin de reconnaître les siens. Ce fut le 20 mars 1523 qu’un édit organisa la censure autrichienne. Il s’agissait surtout d’interdire la publication et la vente des livres et des libelles hérétiques ou sentant l’hérésie. Les bourgmestres, les officiers de justice étaient préposés à ces poursuites ; tout bourgeois était invité à faire la guerre aux écrits prohibés et, le cas échéant, à les prendre de force, mit Gewalt, à leurs propriétaires. A la tête de cette police de la presse étaient le grand-chancelier et celui qu’on appelait le Hofrath, le conseiller de cour. En 1527, on fit mieux ; il fut déclaré que tous les contrebandiers de l’imprimerie seraient punis sans merci par le feu. Ce n’étaient pas là de vaines menaces. Balthasar Hubmayr et Caspar Tauber, qui s’étaient permis de rééditer et de répandre des brochures protestantes, furent brûlés l’un à Nikolsbourg, l’autre à Vienne, belle matière à mettre en vers ou en prose.

L’instrument n’était pas encore parfait ; on le perfectionna. On introduisit en 1528 l’incommode pratique des Visitationen ou descentes de justice, destinées à purger les maisons de tout écrit dangereux ou suspect. Le 18 février 1559, on promit une récompense de 300 florins à tout particulier qui dénoncerait un délit de presse, et le