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parties de jeu intellectuel. Les mathématiciens, d’ailleurs, le disputaient parfois aux physiciens en fantaisies de l’imagination. Pourtant, avec Tartaglia, Cardan, Ferrari, Viète, Neper, Snellius, les sciences mathématiques faisaient des progrès de plus en plus rapides. Galilée a la gloire d’avoir appliqué le premier les mathématiques à la physique selon l’esprit de la science moderne. Il avait la passion de la mesure appliquée à toutes choses : la règle et le compas, voilà ses instrumens de prédilection et comme les « attributs » de son génie. Même quand il ne pouvait résoudre directement un problème de géométrie, il s’adressait encore à la mesure pour tourner la difficulté. Demandait-on aux géomètres d’évaluer le rapport de l’aire de la cycloïde ordinaire à celle du cercle générateur, le nouvel Archimède de Florence pesait deux lames de même matière et de même épaisseur, dont l’une avait la forme d’un cercle, l’autre la forme de la cycloïde engendrée ; puis, trouvant le poids de la seconde constamment triple du poids de la première, il concluait : l’aire de la cycloïde est triple de l’aire du cercle générateur. C’était l’induction et l’expérimentation remplaçant la déduction a priori. Mais Galilée, tout en donnant tant d’exemples admirables de la méthode positive, ne s’élevait pas à une vue de la nature, de la science et de la méthode même, qui fût en complète opposition avec le passé. Il ne se demandait point si on ne pourrait pas substituer partout, dans le monde physique, des quantités aux qualités, aux forces et causes efficientes, enfin aux causes finales. Il admettait que les plus petites parties des corps sont pleines, mais séparées par des vides ; que la matière renferme des « forces motrices » ou a causes efficientes, » qui ont pour « effet naturel » de transporter certaines masses à certaines distances en des temps donnés ; il admettait jusqu’à la « force du vide ; » il déclarait les « causes finales » évidentes dans la nature : c’était même au nom des causes finales qu’il rejetait l’hypothèse de Ptolémée, comme plus compliquée et moins harmonieuse que celle de Copernic. — « Galilée, dit Descartes, examine les matières de physique par des raisons mathématiques, et en cela je m’accorde avec lui, car je tiens qu’il n’y a pas d’autre moyen pour trouver la vérité. » — Mais, ajoute Descartes, avec une sévérité hautaine : — « Galilée ne fait que des digressions et n’explique suffisamment aucune matière, ce qui montre qu’il ne les a point examinées par ordre, et que, sans avoir considéré les premières causes de la nature, il a seulement cherché les raisons de quelques effets particuliers, et ainsi qu’il a bâti sans fondemens. » — Quelque injuste que soit cette appréciation trop sommaire, elle nous montre bien qu’aux yeux de Descartes, la vérité scientifique n’acquiert sa vraie