Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/771

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

D’abord, Descartes n’attribue plus aux genres et aux espèces une valeur indépendante de notre esprit ; il n’y voit plus aucune révélation du plan divin. La classification n’est plus pour lui l’opération fondamentale de la science : ranger tous les êtres dans leurs groupes respectifs, les hommes dans le groupe de l’humanité, les animaux dans le groupe de l’animalité, ce n’est point avoir pénétré dans la réalité même. Le premier stage de la science, c’est sans doute de définir et de classer les qualités apparentes des choses, comme la couleur, le son, la pesanteur, etc. Mais, selon Descartes, à quoi tiennent toutes ces qualités ? A nous, non aux choses ; elles ne sont donc pas le véritable objet de la science. Les formes mêmes des choses, comme la forme d’une plante, d’un animal, ne sont que des résultats dérivés, des combinaisons de qualités visibles ou tangibles qui, provenant de nos sensations, ne représentent point la véritable nature des objets. Seules les formes géométriques répondent à quelque chose d’indépendant de nous, mais ces formes sont encore des dérivés du mouvement dans l’étendue. C’est donc, en somme, le mouvement dans l’étendue qui est l’objet véritable de la science. Les genres et les espèces ne sont que des produits extérieurs ; ce qu’il y a de général dans les choses n’existe, au fond, que dans notre pensée. Le nombre même, dit Descartes dans ses Principes, « si nous le considérons en général sans faire réflexion sur aucune chose créée, n’est point hors de notre pensée, non plus que toutes ces autres idées générales que, dans l’école, on comprend sous l’idée d’universel. » Si une pierre tombe vers le centre de la terre, ce n’est pas parce qu’elle appartient au genre des corps pesans, c’est parce que le tourbillon de l’éther, animé d’une énorme vitesse centrifuge, ne peut pas ne pas repousser la pierre vers le centre. Si un homme meurt, ce n’est pas parce qu’il fait partie des animaux mortels, mais parce que « le feu sans lumière » qui entretient le mouvement de sa machine corporelle ne peut pas ne pas être affaibli et éteint par des mouvemens adverses. Expliquer, dans les sciences de la nature, c’est trouver la combinaison nécessaire de mouvemens qui aboutit à tel mouvement actuel.

La philosophie antique et scolastique se perdait dans la considération des « choses » et de leurs « accidens. » Mais qu’est-ce qu’une chose ? Il n’y a, dans la nature extérieure, aucune M chose » qui soit vraiment séparée du reste, rien qui possède une unité