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arrête son mouvement. » L’inertie n’est donc encore, sous un autre nom, que la persistance de la même quantité de mouvement. La seule erreur de Descartes consiste à avoir admis qu’on pourrait, à la rigueur, changer la « direction » des mouvemens sans en altérer la « quantité. » C’était pour sauvegarder notre libre arbitre que Descartes nous attribuait ce pouvoir de changer la direction du mouvement. Par malheur, c’est seulement en modifiant la quantité qu’on peut modifier la direction. Leibniz l’a fort bien montré, mais il n’a pas lui-même trouvé la vraie formule mathématique pour exprimer la permanence de la force. En définitive, d’après la science contemporaine, qu’est-ce qui reste constant dans l’univers ? C’est la somme de deux quantités variant en sens inverse l’une de l’autre : ces deux quantités sont l’énergie actuelle (ou force vive de Leibniz) et l’énergie potentielle ; mais, en réalité, il n’y a dans la matière comme telle d’autre « énergie » que le mouvement, d’autre cause du mouvement ou de ses modifications qu’un autre mouvement ou une autre modification de mouvement ; c’est ce que Descartes a compris ; il n’y a donc pas d’énergie potentielle proprement dite ; toute énergie est actuelle et « cinématique. » Donc encore, les deux quantités dont la science moderne admet la constance dans l’univers sont deux quantités de mouvement à forme différente. Mais alors, c’est le triomphe définitif de Descartes, non de Leibniz, puisqu’en somme la science reconnaît la constance de la même quantité totale de mouvement, tantôt sous une forme visible, tantôt invisible et intestin. C’est une observation qu’il importait de faire en présence de toutes les spéculations scolastiques qu’on hasarde, encore aujourd’hui, sur la prétendue « énergie potentielle. »

La deuxième loi générale du mouvement, d’après Descartes, concerne la direction rectiligne de tout mouvement simple. La philosophie aristotélicienne admettait, en vertu de considérations sur les causes finales et la beauté, des mouvemens curvilignes simples et primitifs ; Kepler même, sous le prétexte que le cercle est la plus belle des figures, avait jugé que les planètes doivent décrire des cercles. Descartes, qui avait chassé de la mécanique ces considérations de beauté et de finalité, montre que le mouvement rectiligne est seul simple et primordial. Cette loi, aujourd’hui incontestée, Descartes la déduit avec profondeur de la loi plus générale qui concerne la conservation du mouvement. « Le mouvement, dit-il, ne se conserve pas comme il a pu être quelque temps auparavant, mais comme il est précisément au moment même où il se conserve. » Or, considérez la pierre d’une fronde dans le moment actuel et au point précis où elle se trouve, il n’y a « aucune courbure en cette pierre. » Si donc elle se meut en ligne