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ses parties ; et cela seul pourra produire en lui tous les changemens qu’on expérimente quand il brûle. » — Voilà donc, ici encore, l’explication mécanique substituée aux explications prétendues par les « formes, » les « qualités » et les « actions. »

Poursuivant sa marche triomphale à travers toutes les sciences et jetant les vérités comme à pleines mains, Descartes explique le magnétisme par les lois du mouvement et compare la terre à un vaste aimant. Il explique la lumière non par l’émission de particules à travers l’espace, comme le soutiendra faussement Newton, mais par la transmission d’une pression à travers le fluide éthéré : — « De même, dit Descartes, le choc se transmet à travers une série de billes qui se touchent. » Par là il pose la base du système des « ondes, » que le cartésien Huyghens opposera victorieusement à la théorie newtonienne de l’émission. Il découvre aussi la théorie mécanique de la chaleur, et explique la chaleur par un mouvement oscillatoire des « particules corporelles ; » il montre que « tout mouvement violent produit le feu, » que la chaleur à son tour peut produire les effets mécaniques les plus divers, enfin que le mouvement lumineux peut se transformer en mouvement calorifique.

Le premier encore, Descartes découvre et démontre, par une décomposition de mouvemens, la loi de la réfraction de la lumière ; il en donne l’élégante formule trigonométrique qui porte encore son nom ; il en déduit la théorie des principaux instrumens d’optique. Comparant la décomposition de la lumière dans la goutte d’eau à sa décomposition par le prisme, il explique le premier la formation des deux arcs-en-ciel. C’est par une ridicule injustice qu’on a voulu, sans le moindre fondement, attribuer à l’Allemand Snellius la découverte de la réfraction.

Non moins injustes sont ceux qui attribuent à Torricelli la première idée de la pesanteur de l’air et à Pascal tout l’honneur des expériences du Puy-de-Dôme. Descartes, qui a toujours tenu pour le plein, a toujours aussi reconnu que l’air était pesant et qu’il faut rapporter à cette pesanteur de l’air, avec l’ascension des liquides, « la suspension du vif-argent. » C’est à Descartes, non à Torricelli, qu’est due l’idée de la pesanteur de l’air et de son influence sur l’ascension des liquides. Et c’est aussi à Descartes qu’est due l’idée de l’expérience du Puy-de-Dôme, ainsi que la célèbre comparaison de l’air avec « la laine : » Pascal la lui emprunte sans le nommer[1].

  1. Dès le 2 juin 1632, Descartes écrivait à un anonyme : « Imaginez l’air comme de la laine et l’éther qui est dans ses pores comme des tourbillons de vent qui se meuvent çà et là dans cette laine ; le vif-argent qui est dans le tuyau ne peut commencer à descendre qu’il n’enlève toute cette laine, laquelle, prise tout ensemble, est fort pesante. » Ce passage témoigne que Descartes avait devancé d’au moins douze ans Torricelli, lequel ne parvint qu’en 1643 à sa conception. En 1638, Descartes écrivait encore à Mersenne : « Galilée donne deux causes de ce que les parties d’un corps continu s’entretiennent ; l’une est la crainte du vide, l’autre certaine celle ou liaison qui les tient, ce qu’il explique encore par le vide ; et je les crois toutes deux fausses ; car ce que Galilée attribue à la crainte du vide ne se doit attribuer qu’à la pesanteur de l’air. L’observation que les pompes ne tirent point l’eau à plus de 18 brasses de hauteur ne se doit point rapporter au vide, mais à la pesanteur de l’eau qui contrebalance celle de l’air. » Jusqu’en 1648, Pascal, qui devait toujours défendre le vide, avait hésité à admettre la pesanteur de l’air et son influence. Pendant deux séjours à Paris, Descartes entretint plusieurs fois et longuement Pascal. Nous savons par Jacqueline Pascal et par Baillet qu’il était le plus souvent question entre eux du vide et de la cause de l’ascension des liquides. Après l’expérience du Puy-de-Dôme (17 août 1619), Descartes écrit à Carcavi : « J’avais quelque intérêt de savoir cette expérience, » cause que c’est moi qui avais prié M. Pascal, il y a deux ans, de la vouloir faire ; et je l’avais assuré du succès, comme étant entièrement conforme à mes principes, sans quoi il n’aurait eu garde d’y penser, à cause qu’il était d’opinion contraire. Dans son traité de l’Équilibre des liqueurs, Pascal voulut à son tour, en 1653, rendre saisissable la pesanteur de l’air et ses effets ; et ce fut précisément à la comparaison qu’avait employée Descartes qu’il eut recours : « Comme il arriverait en un grand amas de laine, écrivait-il, si on en avait assemblé de la hauteur de 20 ou 30 toises, etc. — Autre démêlé avec les partisans de Pascal. Celui-ci ayant publié, à seize ans, son Essai sur les sections coniques, le père Mersenne transmet cette merveille à Descartes, qui répond : « Avant que d’en avoir lu la moitié, j’ai jugé qu’il avait appris de M. des Argues. » Plus tard, les ennemis de Descartes l’accusèrent d’avoir, par jalousie et injustice, avancé une chose fausse. Or, en 1862, on a retrouvé un des rares exemplaires de l’Essai sur les sections coniques, et on y a vu l’aveu même de Pascal : « Je dois le peu que j’ai trouvé sur cette matière aux écrits de M. des Argues. » Descartes avait donc raison. C’est dans sa discussion mathématique avec Fermât qu’il semble s’être obstiné à tort, selon la plupart des géomètres ; mais cette discussion aboutit à la plus sincère amitié entre Fermat et Descartes.