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celle de l’évolutionisme ? Elles sont encore dans Descartes. On a dit avec raison que l’esprit français a manqué les plus grandes découvertes de notre siècle faute d’idées philosophiques. Il n’y a pas lieu d’en féliciter Auguste Comte, qui a rétréci et découronné le cartésianisme en même temps que le kantisme. Est-ce en plein XIXe siècle qu’il était utile de proclamer la science indépendante de la métaphysique, comme si la métaphysique était aujourd’hui gênante ? Quant à confondre la métaphysique, comme le fait Auguste Comte, avec « l’explication des choses par des entités, » c’est oublier que ce sont précisément les grands métaphysiciens et, plus que les autres, Descartes, qui ont chassé toutes les entités du domaine de la science. N’avons-nous pas vu qu’avant Descartes la science était anthropocentrique, comme l’astronomie de Ptolémée, puisqu’elle expliquait tout par des qualités, des forces, des causes et des fins, qui ne dépendent que de la nature humaine et n’existent que d’un point de vue humain ? Ce n’est donc pas Auguste Comte, ce n’est pas même Kant, c’est Descartes qui est le vrai Copernic de la science moderne.

Descartes a remarqué avec raison que le plus important pour la science est encore moins la solution actuelle des problèmes que la détermination par avance des « conditions de la solution juste. » Or, Descartes a lui-même déterminé par avance, et sans erreur, toutes les conditions de solution juste dans les problèmes que posent les sciences de la nature. S’il est des questions particulières qu’il n’ait pas exactement résolues, qu’importe en comparaison de son infaillible conception du mécanisme universel ? Pris en son ensemble et au point de vue purement physique, le système cartésien du monde est le vrai ; aussi peut-on dire que Descartes est le père spirituel de tous les savans de notre époque.

On a cependant adressé à ce système du monde bien des objections. Deux seulement, selon nous, ont de la valeur. D’abord, dit-on, comment les parties d’un tout absolument plein peuvent-elles se mouvoir ? Votre monde purement géométrique n’est-il point à jamais « pris dans les glaces ? » — Mais, répondrons-nous, on peut concevoir, avec Descartes, que les vides qui tendraient à se former par le déplacement de telles parties soient, à l’instant même, comblés par d’autres parties. — Pour cela, réplique-t-on, il faut que tout mouvement se communique instantanément. — C’est bien là, il est vrai, ce que Descartes a admis lui-même : tout mouvement se transmet instantanément et produit instantanément « quelque anneau ou cercle de mouvement. » Mais Descartes a eu tort d’aller si vite et d’en conclure que la lumière du soleil, par exemple, « étend ses rayons en un instant depuis le soleil jusqu’à