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fort pâle, les cheveux et la moustache blond clair, avec des yeux d’un bleu pâle où la passion, la colère, l’enthousiasme, mettaient souvent des flammes.

En 1851, il fut nommé résident assistant à Amboine, aux appointemens de 5,000 florins (10,650 francs).

Si l’indépendance de son esprit et de ses allures lui avaient quelquefois aliéné la faveur de ses chefs, Douwes Dekker, partout où il résida, fut toujours aimé de ses collègues et populaire parmi les indigènes, qu’il traitait avec une douceur affable, dont il défendait les intérêts, épousait les griefs, qu’il aidait en toute circonstance de ses conseils et de sa bourse. Compatissant et généreux jusqu’à l’imprudence, on le vit à Padang se jeter à l’eau pour sauver un chien qui se noyait. Européens et Javanais mêlaient à leur sympathie pour lui un peu de pitié souriante. « C’est un excellent garçon, » disaient les premiers. « C’est un digne seigneur, » déclaraient les seconds. Et les uns ajoutaient comme les autres : « Mais il est un peu fou. »

Il ne remplit pas longtemps ses fonctions de résident assistant à Amboine. Le climat de l’Inde commençait à exercer sur lui et les siens son influence débilitante ; un accès de nostalgie le prit, il voulut revoir Amsterdam et faire un pèlerinage au tombeau de sa mère. En avril 1852, il obtint un congé de deux ans, et s’embarqua pour la Hollande.

Ce retour temporaire dans la mère patrie fut pour lui la source des plus cruels déboires. Le fonctionnaire des Indes qui rentre en Europe est presque toujours un déclassé. Il pense et vit autrement que ses compatriotes. Chose pire, une société qui a le commerce pour base, et qui mesure sa considération à la fortune, n’a que froideur et dédain pour l’employé à la demi-solde, qui naguère était un satrape entouré d’un respect presque religieux.

Orgueilleux et impressionnable, Douwes Dekker devait souffrir plus qu’un autre de ces froissemens, de ces humiliations de tous les jours. Il s’était aisément habitué à la politesse cérémonieuse, au caractère expansif des Javanais, à leurs manières insinuantes, aux flatteries qu’ils ne ménagent pas à ceux qui les gouvernent. Quand il passait dans sa voiture à quatre chevaux, escorté d’un petit état-major de fonctionnaires subalternes, les indigènes se prosternaient sur la route, ou bien, fermant leur parasol, si brûlant que fût le soleil, ils tournaient le dos, par respect, et comme éblouis par la majesté d’un visage hollandais. Si l’un d’eux recevait une lettre en sa présence, il la lui présentait pour qu’il la fût d’abord. Devant le résident, comme devant un envoyé de Dieu, les disputes faisaient trêve, les conversations les plus animées