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Or cette dépréciation de la livre tournois n’a pas été plus sensible de 1500 à 1600, qu’elle ne l’avait été de 1400 à 1500, ou de 1300 à 1400 ; et nous pouvons constater combien Malestroit se trompait quand nous voyons le kilogramme d’or ou d’argent de 1595 ne valoir plus en terres, en salaires, en blé, en viande, en étoffes, que les deux tiers, la moitié, le quart ou le cinquième, selon les objets, et, en moyenne, que le tiers de ce que valait le kilogramme de 1495.

Cependant la masse d’or ou d’argent, épandue sur la surface de l’Europe en 1595, était de beaucoup supérieure au triple de celle qui existait cent ans auparavant ; elle était peut-être cinq ou six fois plus grande. En admettant, avec M. Michel Chevalier, que le stock de métaux précieux du monde civilisé fût de 1 milliard de francs, dans le premier quart du XVIe siècle, il n’est pas exagéré de le chiffrer à 5 ou 6 milliards dans les premières années du XVIIe. Comment donc l’augmentation des métaux disponibles n’a-t-elle fait baisser leur puissance d’achat que dans une proportion très inférieure à cette augmentation ? Nous touchons ici au point le plus obscur, le plus difficile à pénétrer, mais aussi le plus intéressant de l’histoire des variations du pouvoir de l’argent : je veux dire les causes de ces variations et leurs conséquences, leurs rapports avec la prospérité publique.

Les marchandises augmentent de prix pour deux motifs : ou parce qu’elles deviennent plus rares, ou parce que l’argent devient plus abondant. De même, les marchandises diminuent de prix, ou parce qu’elles deviennent plus abondantes, ou parce que l’argent devient plus rare. Certes, quand une seule marchandise (terre, travail, matériaux, tissus) augmente ou diminue de prix par rapport aux autres, c’est évidemment une cause spéciale à cette marchandise qui agit, ce n’est pas l’augmentation ou la diminution de l’argent qui produit le fait. Mais quand il voit l’ensemble des marchandises augmenter ou baisser de prix, l’historien peut demeurer indécis.

Il y a des momens en effet où les métaux précieux deviennent plus abondans, comme au XVIe siècle, et où l’augmentation des prix est fictive ; cependant l’ancien rapport entre l’argent et les marchandises ne s’est pas déplacé de toute l’augmentation du métal ; ce qui laisse supposer que la demande d’argent a été plus forte que précédemment, soit par l’accroissement de la population, soit par une plus grande activité du commerce, dont les transactions devenaient plus nombreuses et plus importantes, soit par l’extension des contrées nouvellement policées. Une semblable diminution du pouvoir de l’argent peut coïncider avec une période de bien-être.