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la classe ouvrière qui souffre alors, la classe des vendeurs de travail, aux champs et à la ville, parce que le prix du travail était bien loin d’avoir haussé dans la même mesure que les autres prix. Depuis 1500, la journée du manœuvre avait augmenté de 30 pour 100, et les céréales de 400 pour 100. A l’avènement de Louis XII, le blé se payait 4 francs l’hectolitre, et l’ouvrier agricole gagnait 60 centimes par jour ; à l’avènement d’Henri IV (1590), le blé se vendait 20 francs l’hectolitre, et le salaire du même ouvrier agricole n’était que de 78 centimes par jour. Cela tenait-il à la multiplication excessive de la population ? Le ventre des femmes d’Europe était-il plus fécond que le sein de la terre d’Europe ? La seconde produisait-elle moins de blé que les premières ne procréaient d’enfans ? Sans doute ; et cependant le trop-plein d’habitans mourait de faim devant les monceaux de blé et de denrées innombrables, qui ne demandaient qu’à sortir de la terre vierge ; car la moitié au moins de ce vieux continent était inculte. Ce changement de rapport de la valeur des marchandises, entre elles, a eu des conséquences sociales incalculables.

Étudions seulement ici les rapports de l’argent avec l’ensemble des marchandises, et avouons que, si le mouvement ascensionnel des prix au XVIe siècle, souvent raconté, nous est bien connu, si nous suivons aisément de, 1500 à 1600 les effets prodigieux de chacun de ces arrivages de lingots sur le marché monétaire de l’ancien monde, comme dans une bataille un spectateur découvre, d’un poste d’observation élevé, la trajectoire des obus, et calcule leurs ravages probables dans les rangs où ils tomberont, les fluctuations des trois siècles précédens (de 1200 à 1520), qui n’ont pas été moins extraordinaires, nous sont beaucoup moins explicables.

Nous voyons que le pouvoir de l’argent diminue de 1200 à 1390, augmente de 1390 à 1460, et demeure à peu près stationnaire de 1460 à 1500, avec une légère baisse de 1500 à 1520. Mais nous n’avons aucune statistique de la production des métaux précieux, de 1200 à 1520 ; nous ne possédons de renseignemens que sur l’autre terme du problème, — la production plus ou moins active des marchandises, — par l’histoire de l’agriculture, du commerce, et des événemens politiques généraux qui ont influé sur l’état physique de la nation.

On sait, à n’en pouvoir douter, que le règne de saint Louis et les années qui le suivirent, jusqu’à la fin du XIIIe siècle, furent en France une époque heureuse. Un grand nombre de terres ont été défrichées en ce temps-là ; la suppression graduelle du servage créait la petite propriété, et modifiait de la manière la plus favorable l’exploitation du sol. L’organisation corporative du travail