Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/900

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’entre eux qui recueille et canalise ces bénéfices, pour les distribuer peu à peu à travers la métropole entière. Mais cette fraction, cette classe privilégiée et utile, la métropole n’a point prononcé que ce serait celle des industriels. Elle ne désigne pas spécialement pour ce rôle telle ou telle classe ; elle le destine d’avance à la classe qui pourra faire valoir le plus de droits et les exercer le mieux. Or cette classe, c’est celle des hommes qui ont quitté leur patrie, leur famille, la société où ils vivent, tous les agrémens de la civilisation, et s’en sont allés dans la colonie même exposer à d’innombrables risques leur vie et leur fortune ; c’est celle des hommes qui, par leur présence sur le terrain, sont seuls en situation d’exploiter le marché de la colonie : c’est la classe des colons.

Or, l’intérêt des colons est précisément contraire à celui des industriels : avec eux, plus de tarif protecteur ; s’il se peut même, plus de tarif fiscal ; plus de droits différentiels ; plus de barrières. Toutes les portes largement ouvertes à tous les produits. Et les conséquences de ce système, les voici : pour l’indigène, la vie facile et abondante ; pour le marché intérieur, l’activité et la richesse ; pour les marchés extérieurs, pour les pays où conduit la « route commerciale, » l’accès rapide et peu coûteux ; pour le colon, la fortune, faite d’un tribut modique prélevé sur des transactions nombreuses et importantes ; pour le trésor, les recettes croissantes, qui soulagent la métropole ; pour la colonie, le bon renom que lui vaut sa richesse ; enfin ; pour la métropole, la conviction, répandue parmi les nations, que nul désormais n’a rien à regretter quand elle s’empare des territoires inoccupés du globe. C’est là la conception qui, depuis près d’un siècle, a été adoptée et mise en pratique par l’Angleterre et qui lui a, pour une grande partie, valu l’étonnante prospérité de son empire colonial. C’est celle qui prévaut dans l’Inde et en Birmanie et qui a fait de Rangoon, entrepôt du commerce birman, une des plus belles et des plus opulentes cités de l’extrême Orient[1].

Toutefois, il serait puéril d’attribuer à la seule liberté des échanges l’état florissant de la communauté indienne sous le protectorat de l’Angleterre ; bien d’autres causes y ont contribué, et parmi elles le développement des communications et l’impulsion donnée aux travaux publics. C’est ce que n’oublia pas lord Dufferin. L’annexion de la Birmanie datait de décembre 1885 ; en février 1886, lord Dufferin s’embarquait pour Rangoon et s’occupait aussitôt de dresser et d’exécuter un programme de travaux publics.

  1. Voir, sur cette question de la liberté des échanges et sur ses effets dans l’Inde, l’ouvrage déjà cité de sir John Strachey, India, p. 102.